Le livre va devenir une forme de plus en plus marginalisée de la connaissance : il va céder la place aux données en ligne, tandis que la notion de flux remplacera celle de collections. Dans ce futur proche, déjà largement en marche, comment les bibliothèques universitaires doivent-elles évoluer pour répondre aux nouvelles pratiques d'apprentissage et de travail des étudiants et des chercheurs ? C'est cette question complexe qu'a explorée le 40e congrès de la Ligue des bibliothèques européennes de recherche (Liber), organisé à Barcelone du 29 juin au 1er juillet sur le thème : "Préparer l'Europe pour 2020 : le rôle des bibliothèques dans la recherche, l'éducation et la société". Etait-ce dû au sujet, au coeur des préoccupations des professionnels, ou au pouvoir d'attraction de la belle cité catalane ? Ce congrès a enregistré la plus forte fréquentation de toute l'histoire de l'association, avec 400 congressistes venus de 37 pays. Phénomène nouveau, des bibliothécaires qui n'avaient pas pu faire le déplacement ont suivi les vidéo-conférences sur Internet et ont participé en envoyant des tweets. "A Liber, j'entends parler de sujets novateurs qui entrent ensuite dans notre quotidien de travail, confiait Marie-Dominique Heusse, directrice du SICD (1) du Pres de l'université de Toulouse. Cette année, il est question par exemple de bibliométrie, un outil qui permet de mesurer le nombre de citations d'une publication, un indice très important dans l'édition scientifique." En aparté, quelques participants français regrettent néanmoins la surreprésentation des communications anglo-saxonnes et scandinaves, même si on peut l'expliquer par la supériorité historique de ces pays.
Les expériences présentées et les pistes explorées n'ont bien sûr pas permis de définir un modèle précis mais ont confirmé une certitude : la bibliothèque de recherche devra se repenser radicalement dans les années à venir. "Il faut la redéfinir comme une entité multi-institutionnelle, a affirmé Rick Luce, directeur des bibliothèques de l'université Emory aux Etats-Unis. Notre rôle aujourd'hui est de connecter les cerveaux des gens entre eux pour que le partage et la collaboration fassent partie du travail quotidien." Parmi les outils innovants, le cloud computing ("l'informatique dans le nuage"), où les données et certains traitements sont délocalisés dans les serveurs des grandes firmes de l'Internet - procédé plus économique, plus réactif que les traditionnels serveurs locaux -, semble promis à un bel avenir, même si des questions demeurent concernant la sécurité des informations stockées ou le choix des standards techniques.
Google toujours
L'accroissement des ressources en ligne et leur valorisation, enjeu essentiel pour les établissements de recherche, a également occupé une large partie des échanges. Sur le terrain de la numérisation, Google, partenaire de 13 bibliothèques européennes dont 5 bibliothèques nationales, continue de jouer un rôle de premier plan, bien que toujours controversé. Plusieurs institutions ont rappelé les modalités de ces partenariats et les bénéfices qu'elles en tiraient, outre la prise en charge des frais de numérisation. "Cela nous a permis de rejoindre la Hathi Trust Digital Library, l'un des plus innovants programmes de préservation numérique, et de disséminer nos collections dans le monde entier", a notamment expliqué Manuela Palafox de l'université Complutense de Madrid, engagée dans la numérisation de 220 000 documents.
Le géant américain reste aussi l'outil de recherche incontournable. "Google Books et Google Scholar arrivent en troisième position des sites où les étudiants trouvent les résultats de leurs recherches ", a souligné Sylvia Van Peteghem, de la bibliothèque universitaire de Gand, qui a signé en 2007 un accord avec Google pour la numérisation de 250 000 ouvrages. Le nouveau portail dédié aux chercheurs prévu dans le cadre de "Europeana Libraries", un programme de numérisation de 5 millions de documents patrimoniaux provenant de 19 bibliothèques européennes, ambitionne de servir d'alternative proposant des fonctionnalités semblables à celles de Google Scholar telles que l'accès aux documents en plein texte et à des métadonnées de grande qualité, la possibilité de faire des annotations, etc.
"Ce n'est pas du luxe."
L'intervention filmée de Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la société numérique, a confirmé l'engagement de la Commission européenne en faveur d'un autre secteur clé pour les bibliothèques de recherche : le développement des archives ouvertes. "Les chercheurs et les ingénieurs ont besoin d'accéder facilement aux données de la recherche, a indiqué la commissaire. Ce n'est pas du luxe, c'est indispensable à la compétitivité de l'Europe."
Paul Ayris, président de Liber, fortement mobilisé sur la question, a fait le point des programmes auxquels participe l'association, en particulier Europeana Travel, un programme achevé en mai et qui a permis la numérisation de 1 million de documents historiques sur le voyage. Il a également présenté MedOANet, un projet d'archives ouvertes impliquant 6 pays méditerranéens.
Alors qu'elle fête son 40e anniversaire, l'association s'est félicitée de son dynamisme. Elle a voté l'augmentation des cotisations pour garantir sa santé financière et annoncé sa volonté de subventionner la participation au congrès de professionnels non-membres afin d'élargir l'audience. La prochaine édition se déroulera du 27 au 30 juin 2012 à Tartu, en Estonie.
(1) Service interétablissements de coopération documentaire.