Cela fait longtemps qu'il y pense, Nicolas Deprez. En septembre prochain, le gérant de la librairie spécialisée en bande dessinée Le Tigre, à Strasbourg - un nom choisi « pour éviter les jeux de mots avec bulles, et parce que le tigre est un animal indépendant », glisse-t-il malicieusement - proposera à ses clients une « box indé », comprenant chaque mois une nouveauté des éditions Nada, ainsi qu'un goodies. Le modèle des box de livres sur abonnement, pilotées par des libraires, des éditeurs ou des sites spécialisés, a fait ses preuves. Le libraire strasbourgeois, qui affiche son indépendance dès sa devanture bordeaux, y ajoute une dimension militante : « après Nada, qui publie pas mal de livres sur l'anarchisme, un sujet qui me parle, je compte mettre en avant d'autres petits éditeurs. Ils sont plus attentifs à leurs auteurs, à leurs illustrateurs », souligne-t-il. Comme lui, de nombreux libraires indépendants tissent des liens privilégiés avec des éditeurs indés sur tout le territoire. Ainsi de Fabienne Olive, de la librairie parisienne Les oiseaux rares (13e arrondissement) qui, si elle ne peut pas se permettre de stocker tout le fonds du Tripode dans 45 m2, défend avec ferveur cet éditeur « à la curiosité insatiable, qui explore des voix singulières comme Goliarda Sapienza, Edgar Hilsenrath, et avec l'exigence de publier toute l'œuvre d'un auteur ». La libraire, installée depuis douze ans, a « énormément soutenu » Étoiles vagabondes, de Sholem Aleykhem, paru au mois de mars, mais inscrit aussi Le bruit du temps, les éditions de l'Ogre, la Peuplade ou les éditions Corti à son panthéon d'éditeurs « qui prennent des risques, avec une vraie liberté de ton ». À Lille, dans le quartier populaire de Fives, où il a installé sa librairie-café Le Biglemoi en août 2020, Bertrand Teulet mise régulièrement sur le talent de ses « voisins » : à la mi-mars, avec sa cogérante Marion Hirtzel, il a fait une table 100 % dédiée à l'éditeur lillois La contre-allée. « Ils sont nés comme nous à Fives, en sont partis avant d'y revenir, parce que Benoit Verhille, le fondateur, est très attaché au quartier. Mais plus important, on aime vraiment ce qu'ils font », note le libraire, tout aussi attaché aux jeunes éditions Les Etaques, créées en 2019, dédiées à la critique sociale et qui tirent leur nom d'une ancienne rue de Lille, bastion populaire et contestataire.
Au service de la diversité éditoriale
Quand ce n'est pas la proximité géographique, ce sont les personnes et les idées qui créent des ponts entre professionnels. En rencontrant, pour les besoins de son livre d'entretiens Un sol commun. Lutter, habiter, penser (Wildproject, 2019), Anaïs Massola du Rideau rouge à Paris (18e), l'une des premières librairies en France à créer un rayon « écologie », le jeune ethnologue Marin Schaffner a mis sur pied une collaboration fertile. « Il a initié l'association pour l'écologie du livre, qui cherche à repenser les pratiques dans toute la chaîne du livre, et nous a embarqués Anaïs et moi dans cette aventure », détaille, depuis Marseille, l'éditeur Baptiste Lanaspeze, qui diffuse la pensée écologique depuis 2008 avec Wildproject. C'est naturellement chez Wildproject qu'est paru en mars 2020 le livre-manifeste de l'association, Le livre est-il écologique ?. Plus singulière dans sa forme, la librairie-galerie Les éditeurs associés, dans le quartier de l'Odéon (Paris, 6e), a été imaginée en 2012 comme une vitrine de l'association du même nom, créée en 2004 et qui regroupe une quarantaine de petites structures éditoriales. « L'objectif est de mettre en avant les catalogues de ces artisans du livre, qui font l'édition indépendante de création », explique la libraire Alexandra Casenave-Camgaston. Outre des expositions dans le local rue de Médicis, Les éditeurs associés organisent depuis sept ans le festival Raccord(s), qui inclut un parcours dans Paris au fil d'une douzaine de librairies indépendantes et de médiathèques présentant chacune un petit éditeur.