Certes, produire un livre papier consomme des ressources. L'origine des fibres de papier est aujourd'hui encore mal contrôlée. Le bois utilisé ne provient pas toujours de forêts gérées de manière durable. Et les cartons de livres sont ensuite distribués par des camions qui sillonnent le pays, un moyen de transport gourmand en carburant...
Mais la liseuse numérique est-elle pour autant aussi « dématérialisée » que ses fabricants le laissent à penser ? Comme tout objet électronique, en effet, elle est composée de divers minéraux comme le cuivre, l'or, le coltan, l'aluminium. Il faut y ajouter une certaine quantité de terres rares, un type de métaux dont l'extraction est un facteur important de pollution et qui peut être la source de conflits armés. Pour déterminer qui, du livre ou de la liseuse, est le plus respectueux de l'environnement, il faut alors se pencher sur les usages des deux produits. Un livre se lit une fois, puis on peut le prêter, le revendre, le donner, ou le recycler. Une liseuse peut être utilisée pendant plusieurs années et consomme assez peu d'électricité, mais elle est largement plus coûteuse à produire que le livre, et le traitement des liseuses usagées est une source de pollution souvent sous-estimée.
Le point d'équilibre
Différentes études ont essayé d'estimer l'empreinte carbone des deux produits, c'est-à-dire la quantité de dioxyde de carbone (CO2) émise au cours de leur cycle de vie. Il faut les prendre avec des pincettes : leurs méthodologies de calcul ne sont pas rendues publiques, de même que la composition exacte des liseuses ou de la pulpe de papier est tenue secrète. Assez logiquement, les résultats diffèrent selon les intérêts des commanditaires des études : selon celle réalisée par le cabinet Cleantech à la demande d'Amazon, la liseuse Kindle serait responsable de l'émission de 168 kg de CO2, et un livre émettrait 7,4 kg de CO2. À l'inverse, le cabinet Carbone 4, réalisant une estimation pour Hachette Livre, donne le chiffre de 1,3 kg de CO2 pour un livre et 235 kg de CO2 pour une liseuse Sony Reader 1re génération. Selon la première étude, produire une liseuse polluerait donc autant que fabriquer 22 livres ; selon la deuxième, le point d'équilibre se trouve plutôt autour de 180 livres.
Le journaliste Guillaume Pitron, spécialiste de la géopolitique des matières premières, qui a essayé d'estimer les empreintes carbones de différents dispositifs numériques, estime que cette difficulté à évaluer leur bilan écologique est généralisable à l'ensemble du matériel électronique : « Personne ne sait réellement mesurer cet impact, décryptait-il dans Forbes, mais force est de constater que le récit le mieux financé et le plus visible reste celui qui présente le numérique comme bénéfique. » Pour trouver un juste milieu, on peut effectuer une moyenne des différentes études conduites sur le sujet ; cette moyenne laisse donc à penser qu'il faudrait lire au moins soixante livres sur une liseuse pour rentabiliser son coût de fabrication et de recyclage. En somme, pour que la liseuse soit effectivement un objet plus sobre que des livres papier, il faut être un gros lecteur. Et la garder longtemps.