Livres Hebdo a lu le livre de Yasmina Reza

Livres Hebdo a lu le livre de Yasmina Reza

Tiré à 100 000 exemplaires, « L’aube le soir ou la nuit» sort chez Flammarion vendredi 24 août. De l’été 2006 jusqu’aux lendemains du 16 mai 2007, Yasmina Reza a suivi la campagne de Nicolas Sarkozy. Une écriture « blanche » pour le portrait d’un enfant pressé. Le premier événement littéraire de la rentrée.

Par Jean-Maurice De Montremy
avec Jean-Maurice de Montremy Créé le 15.04.2015 à 20h04

Dès la deuxième page de L’aube le soir ou la nuit (Flammarion), Nicolas Sarkozy a gagné. Ou plutôt : « il », « lui ». Yasmina Reza ne nomme presque jamais le personnage principal de la « saison » 2006-2007 qu’elle passe auprès du ministre, du candidat puis du président tout juste élu. Il a gagné puisque la narratrice, sur ses gardes, pas vraiment aimable – s’appliquant à l’écriture blanche – saisit chez lui quelque chose de solitaire et d’enfantin. Une silhouette mal assurée qu’on devine, bien que Yasmina Reza décrive peu les personnes ou les lieux. Elle lui trouve un côté « mon p’tit frère », une touche de désarroi naïf. Auprès des femmes, dit-on, ce coup-là marche bien.

L’aube le soir ou la nuit, c’est d’abord une atmosphère, avec personnage en ligne de fuite. Quelques détails, des phrases prises ici ou là, une campagne électorale en rythme accéléré. Jusqu’au jour où, ça y est, le personnage pressé, souvent absent à lui-même, s’emportant, vainquant la fatigue par plus de fatigue, insatisfait se retrouve avec sa narratrice à l’Elysée – palais réduit, comme le reste, au minimum de didascalies. De nouveau, « il » n’est plus qu’une silhouette d’une « gaucherie ensorcelante ».

A « l’attente enfantine » du garçon en quête d’applaudissements, page 10, répond une dernière évocation d’enfant – décontenancé, cette fois-ci. Il vient d’avoir son jouet. Et alors ? « Je suis content en profondeur, mais je n’ai pas de joie », dit-il. Après quoi, il s’éloigne. « Je le vois marcher, de dos, se tourner pour un dernier signe, vérifiant les poches, le portable, disparaître dans l’embrasure en une claudication légère. » A poor lonesome Sarko.

Yasmina Reza disposait d’une marge de manœuvre réduite. Elle le savait. On n’attendrait pas d’elle un reportage politique, avec indiscrétions, scoops et « portraits » de genre. On ne lui pardonnerait pas, non plus, le numéro du Grand Ecrivain tutoyant l’Histoire.

L’observatrice trouve en face d’elle un « homme », des « hommes » – le mot revient souvent – pour lesquels ne conviennent ni le mythe, ni l’épopée. On songe plutôt à des managers. De l’audiovisuel ? d’une multinationale branchée ? d’une Fédération sportive à puissants moyens ? Hommes guerriers, et – lorsqu’ils s’exaspèrent – d’une vulgarité plate, sans cette grossièreté inventive qu’avaient de Gaulle ou Clemenceau. Ce contraste entre la narration minimaliste, le glamour glacé du rythme et la maladresse immature des « hommes » nous vaut les meilleures pages.

« C’est véritablement un de vos personnages, dit un ami, à qui je viens de lire certains passages. » Après une Pièce espagnole, on pourrait parler d’Impromptu français. Pour faire entendre le son du pouvoir, Yasmina Reza invente le récit pianistique. Ça changera du romanquête.

15.04 2015

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