Une loi pour le livre numérique. Les éditeurs l'ont rêvée, le Parlement l'a votée (sous réserve des lectures encore à venir). La loi s'appliquera au livre numérique édité au plus près du texte papier. Elle permet à l'éditeur d'en maîtriser le prix et de l'imposer à tous. Evitant le discount des grands distributeurs, elle est un outil de la vitalité d'un réseau varié de détaillants numériques. Rappelons-le. La loi est courte. 8 articles (ou plutôt 9... cf. infra). Elle précise que toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d'offre, que ce soit une vente à l'unité ou groupée. Ce prix peut différer en fonction du contenu de l'offre et de ses modalités d'accès ou d'usage. Cette précision est particulièrement heureuse ; elle évite de brider les innovations commerciales que le numérique autorise et favorise. Comme pour le livre papier, l'éditeur doit tenir compte, pour définir la remise commerciale qu'il accorde aux vendeurs, de l'importance des services rendus par ces derniers en faveur de la promotion et de la diffusion du livre numérique. On retrouve l'esprit de la loi Lang, qui entendait récompenser le libraire à hauteur de son engagement en faveur de la diversité culturelle et de l'accès de tous au livre et à la lecture. Un comité de suivi composé de deux députés et deux sénateurs est chargé de suivre la mise en œuvre de la loi. Il remet régulièrement un rapport qui vérifie l'impact sur la filière, et si une rémunération juste et équitable est bien appliquée pour les auteurs. Ce tout dernier point, disparu et revenu, même s'il n'engage à rien, renvoie symboliquement à l'inquiétude des auteurs dont les rémunérations fondront comme neige au soleil si leurs droits sont fixés à un taux inchangé avec un prix nettement réduit. On pourrait qualifier cette stipulation d'incitation au partage optimal de la valeur, en quelque sorte. Tout cela sent bon le progrès. Pourtant, la loi pourrait ne ressembler qu'à une victoire à la Pyrrhus. Elle ne s'applique pas aux plateformes établies dans d'autres pays membres de l'Union européenne, mais qui vendent des livres numériques sur le marché national. En d'autres termes, échappent au champ d'application de la loi les vendeurs extraterritoriaux, Amazon, Apple, bientôt Google et sans doute bien d'autres. Avec ceux-là, il faudra recourir au contrat de mandat (si c'est possible avec eux, pourquoi pas avec tous ?). En effet, la loi ne serait pas conforme, si elle s'appliquait aux vendeurs extraterritoriaux, aux directives services et e-commerce de l'Union européenne. Le gouvernement tentera de plaider à Bruxelles pour que s'applique la loi du pays de consommation du service à la vente en ligne. Mais en attendant, les plateformes et la première d'entre elles, Amazon, pourront vendre les livres français à prix discountés, ou ne pas les vendre du tout si les éditeurs décident de ne pas leur céder leurs fichiers numériques. Autant dire qu'à moins d'un accord, la loi sera inefficace, et son application risque d'aboutir à l'effet inverse de l'effet escompté : un marché atone, se développant en dehors de notre pays, et mettant en péril les plus solides de ses acteurs. La loi Lang, votée, faut-il le rappeler, à l'unanimité en 1981, avait été mûrement préparée ; ses fondements étaient démontrés par l'expérience passée. Il s'agissait de défendre la diversité de la création littéraire grâce à la possibilité pour le libraire de conserver une partie du marché des livres à rotation rapide. En revanche, la loi de 2011 a fait l'objet de négociations plus précipitées, elle ressemble à la loi d'un secteur qui se sent menacé. N'aurait-il pas plutôt fallu s'assurer les bonnes grâces de Bruxelles pour l'application en janvier 2012 d'un taux réduit de TVA pour le livre numérique, puis négocier si nécessaire un prix unique, qui n'a de sens que s'il s'applique à tous et pas seulement aux acteurs français de la vente au détail ? L'histoire n'est pas écrite et peut-être les négociations à venir permettront-elles de mieux calibrer la loi. Il faudra aussi que l'évaluation de ses effets soit assez solide pour permettre les ajustements indispensables, quels qu'en soient la nature et le coût. Pour la petite histoire, les députés ont ajouté un article 9 qui n'a rien à voir avec le livre - on appelle ça un cavalier législatif - mais qui permet au groupe LVMH de poursuivre son projet de musée dans le bois de Boulogne. Je trouve pour ma part que le débat sur la politique du livre aurait mérité un peu plus de respect.