"L'évasion fiscale de certains services numériques est considérable, le dommage économique national significatif. Comment y remédier ? Mettre fin au dumping fiscal, arme moderne de la guerre interétatique, est une solution lointaine. Pour l'immédiat, MM. Collin et Colin préconisent une taxation sur l'exploitation des données personnelles. Devenues l'or noir de l'économie numérique, donc une marchandise, elles n'en représentent pas moins des personnes humaines, leur double informationnel. Marchandise ou être humain virtuel, nos sociétés ont à choisir.
La taxation des données personnelles risque d'affaiblir le cadre légal, si fragile et théorique, de leur protection fondée sur notre tradition humaniste européenne, opposée à la conception utilitariste économique des Etats-Unis. Ne servira-t-elle pas à justifier de nouveaux renoncements favorisant les "appropriations" intrusives et abusives : cookies dévorant notre intimité, agents intelligents espions, algorithmes submergeant de propositions de bons choix, rafales des spams et des publicités invasives... ?
Conscients d'un tel enjeu, et pour d'autres motifs tenant aux principes de la fiscalité, les rapporteurs renoncent à imposer en tant que telle "la matière informationnelle" : leur taxe se veut une incitation au traitement équitable des données personnelles. Le parallèle est fait avec le marché des droits de pollution, pollueurs-payeurs. La taxe serait modulée en fonction du degré de respect des libertés et des droits des utilisateurs du Net : le marché de la liberté du fichage !
Mais l'efficacité de "l'algorithme" n'a-t-elle pas pour limite sa propre cause : l'a-territorialité ? Les difficultés pour déterminer la loi applicable, pour fixer la localisation des actes, surtout si le traitement automatisé est fragmenté, le réseau d'engagements internationaux de la France, notamment relatifs aux données personnelles, limitant les restrictions de circulation des flux transfrontaliers, justifient la crainte d'une nouvelle "ligne Maginot", à défaut d'une initiative conjointe des pays de l'Union européenne.
De plus, la préservation de l'activité informationnelle nationale impose de cibler avec précision les seuls "prédateurs" évadés fiscaux et non l'ensemble des industriels de l'information. Un tel ciblage révélera que le but du dispositif n'est pas celui, proclamé, d'inciter à améliorer la protection des personnes, caractérisant un détournement et une discrimination, sources d'inconstitutionnalité et d'annulation européenne.
Comment ne pas faire l'analogie entre le "pompage" actuel des gisements informationnels et, à une autre époque, le "pompage" des gisements pétrolifères par les grandes nations : la valeur est délocalisée. Les données personnelles étant devenues "l'or noir" de l'économie numérique, la répartition équitable de la valeur est une nécessité, hier comme aujourd'hui, mais sans artifice."