Voilà l’un des livres les plus intrigants de cette rentrée littéraire. L’un des plus imposants aussi. A première vue, il s’agit d’une vaste saga historique, épique, à laquelle il ne manque, dans la reconstitution néoclassique, pas le moindre bouton de guêtre ; mais en fait, à mieux y regarder, une œuvre d’une folle complexité, traversée de bout en bout par l’idée de la modernité, celle d’une époque et d’un pays, l’Italie d’avant le Risorgimento, et celle du champ romanesque d’aujourd’hui.
Les folles espérances, récipiendaire en 2011 de l’une des plus prestigieuses récompenses italiennes, le prix Viareggio, est le premier roman traduit en français du jeune (35 ans) romancier Alessandro Mari. On y suit le destin picaresque de quatre personnages emblématiques de la confusion des temps et de leur énergie. Voici d’abord un orphelin un peu simple d’esprit, Colombino, parti à dos de mulet quêter conseil auprès du pape pour savoir comment séduire une fille de ferme trop belle (trop tout, en vérité) pour lui. Voici Lisander, un peintre de cour, vendant ses charmes avec ses toiles, amoureux d’une fleur de bordel et de la photographie naissante. Voici Leda, enfermée dans le souvenir de son amant autant que dans un couvent, qui bientôt espionnera en terre anglaise. Voici enfin Dom José qui a combattu pour l’indépendance du Brésil et fera de même pour l’unification de l’Italie sous le nom de Garibaldi. Chacun d’entre eux, moins dépassé par les événements qui se succèdent que porté par une énergie, quelque chose qui les excède largement et qui pourrait aussi bien s’appeler la jeunesse…
Cette énergie, c’est d’abord celle du livre, celle de l’écriture d’Alessandro Mari. On a parlé à son propos du Guépard de Lampedusa, c’est un contresens. Il n’est pas question ici de choses finissantes, mais commençantes, de cavalcades vers le fil de l’horizon, de tout voir, tout éprouver et d’en jouir sans entraves. En cela, Les folles espérances serait plutôt une version contemporaine du Hussard de Giono. Le travail sur la langue de Mari est tout à fait éblouissant et rappelle que le romancier est aussi un spécialiste de l’œuvre de Pynchon et de Foster Wallace, traducteur de Patti Smith. Bien entendu, ce fleuve romanesque est d’abord un récit de formation. Bien entendu, cette Italie de 1830 qui se cherche et se refuse à sa jeunesse, c’est encore, c’est toujours, "le vivace et le bel aujourd’hui". O. M.