Perdre ou ne pas perdre, telle est la question. « Être » dans nos sociétés de la performance, c'est « gagner », sinon on n'est rien, bon à jeter... Du berceau au tombeau, pas d'autre choix que d'être battant et sympa. Matériellement, physiquement, mentalement, tout se doit d'être parfait.
Pour Elizabeth Day, ça ne commence pas très bien : « L'un de mes premiers souvenirs est celui d'un échec. » L'auteure de L'invitation (Belfond, 2018, repris en « 10/18 ») a trois ans quand sa grande sœur qu'elle adore et admire, si énergique d'habitude, est clouée au lit, malheureuse comme une pierre, à cause de la varicelle. La mère demande à son aînée ce qu'elle peut faire : y aurait-il quelque chose qui puisse la soulager ? Une bouillotte, répond l'intéressée. Le souhait de la grande sœur ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde, la petite Elizabeth se précipite pour remplir d'eau la bouteille en caoutchouc. Elle apporte à sa grande sœur la bouillotte, mal fermée... Le bouchon cède : « C'est f-f-f-froid ! », hurle la malade. La grande sœur eut beau fusiller du regard sa cadette, elle s'est remise de la varicelle comme de la douche froide inopinée. En revanche, Elizabeth Day a gardé la mémoire d'une défaite cuisante : « Mon échec à aider ma sœur alors que c'est ce que je désirais plus que tout a eu un gros impact sur moi. » Elle l'analyse pour introduire son nouvel ouvrage L'art d'échouer : quand rien ne va plus c'est que tout va bien. « Ce n'était pas un gros échec [...] mais nos échecs n'ont pas besoin d'être remarquables pour avoir un sens. » Puis se déroule une litanie de ratages - du permis de conduire à certains examens, en passant par les relations affectives ou sociales, la reconnaissance de « sentiments importants et difficiles comme la colère et le chagrin » : « J'ai échoué dans mon mariage et j'ai divorcé à 36 ans./ J'ai échoué à avoir les enfants que j'ai toujours cru vouloir./ J'ai échoué à ne pas trop me soucier des choses sans importance sur lesquelles je n'avais aucun espoir d'avoir la moindre prise./J'ai échoué à aimer mon propre corps./ J'ai échoué [...]/ J'ai échoué [...] » L'anaphore donne le « la » de ce guide façon « Échec, mode d'emploi », découpé en chapitres qui traitent de la famille comme de l'amour ou de la réussite. Elizabeth Day rappelle avec une souriante sagacité que « s'accepter est un acte tranquillement révolutionnaire ». On perd et on n'est pas forcément un loser. Vivre c'est perdre aussi. On dira même plus : perdre, c'est vivre.
L'art d'échouer
Belfond
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21,90 euros ; 480 p.
ISBN: 9782714481917