Traiter quelqu'un d'idiot, c'est dire que l'esprit diminué de tel individu est inapte à juger. Le mot vient d'idiotes en grec, qui désigne le non-initié tournant le dos à la vie publique, rivé à son quant à soi. Pas que l'« idiot » soit tout à fait dénué d'intelligence, mais celle-ci se meut sur elle-même telle une toupie : son monde intérieur devient une obsession, ses mots lui sont une langue propre - l'idiolecte. Dans le domaine des arts plastiques, ceux qui se distinguaient du lot en sortant des canons de la beauté académique, par ignorance et non par volonté de rupture avant-gardiste, s'étaient longtemps vu refuser le statut d'artiste par les historiens de l'art et la critique. Considérés comme des autodidactes illettrés voire déficients mentaux, ces créateurs de formes ont été méprisés avant qu'en France, l'artiste et théoricien Jean Dubuffet forge le concept d'art brut. Outre-Atlantique cette création singulière, coupée de l'histoire de l'art et de ses révolutions, se nomme outsider art. James Castle compte parmi ces artistes-là.
Dans La vie sans histoire de James Castle, Luc Vezin raconte le parcours d'un artiste né en 1899 et mort en 1977, découvert au milieu du XXe siècle et qui produisit une œuvre majeure loin de quelconque œil expert. Le narrateur de ce premier roman fait un périple en Amérique. Quand l'autocar qui le mène à Philadelphie arrive au terminal, l'orage éclate. Il s'abrite dans un bar à tapas où il n'y a personne hormis un vieil Asiatique installé au comptoir. Le type était un de ces Nippo-américains qui durent montrer patte blanche durant la guerre en s'engageant comme GI. Envoyé en Europe, il découvrit l'art en Italie. De retour au bercail, il s'inscrivit en école d'art et voua sa vie à l'Art avec un grand A. Aujourd'hui il est devenu une sommité artistique locale. Ces roses dessinées sur le menu du restaurant, c'est lui ! Pourtant il a bien conscience que ni ses motifs floraux ni ses autres tableaux ne passeront la postérité. Pas comme Jim (diminutif de James), l'oncle de Bill son frère d'armes, qui s'était énervé de le voir s'engager aussi obstinément dans la voie de la peinture. Le tonton « sourdingue » Jim vivait dans le poulailler d'une ferme de l'Idaho et n'avait jamais rien fait d'autre que dessiner toute sa vie... Et l'enquête du narrateur de se dérouler telle une exploration d'un lyrisme sans filtre, relié au monde perdu de l'enfance. Les œuvres de Castle étaient composées de rebut, de dessins réalisés sur de vieux papiers, faits avec de la suie et de la salive. Archéologue de la création à l'état brut, Luc Vezin signe l'émouvante histoire d'un homme qui eut pour seuls amis ses pantins de carton.
La vie sans histoire de James Castle
Arléa
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 € ; 224 p.
ISBN: 9782363083111