Essai/France 2 novembre Gérard Macé

La collection « Le promeneur », sous la direction de Patrick Mauriès de 1991 à 2012 chez Gallimard, ne pouvait mieux convenir à ce Colportage, ces trois volumes initialement parus en 1998 et en 2001, réunis ici dans une nouvelle édition augmentée. Car un promeneur, le poète, traducteur et photographe Gérard Macé l'est assurément. Voici donc un recueil d'essais brefs, forme idéale pour sa pensée voyageuse, dans lequel il feuillette son album d'images, parcourt sa bibliothèque de lettré qui n'a rien d'académique puisque, prévient-il, en ouverture « aux salles de lecture qui rappellent trop la lampe et l'étude, à la salle des catalogues où je me suis perdu deux ou trois fois, oubliant presque aussitôt ce que j'étais venu chercher, j'ai toujours préféré la bibliothèque des rues ».

Commentant sa démarche d'essayiste, Gérard Macé a eu plusieurs fois l'occasion d'expliquer sa défiance vis-à-vis du terme « fragments », mot qui contient selon lui la notion d'achevé. Or pas de fin ni de totalité en vue dans cette suite de courts textes, tous clos, plus apparentée à une liste sans classement. Cheminant par associations, par analogies, il arpente ses souvenirs de lecture, empruntant à l'un de ses auteurs préférés, Montaigne, cette expression à la fin des Essais : « J'aime l'allure poétique, à sauts et à gambades. »

Tardieu, Ponge, Leopardi, Baudelaire, Nerval, Caillois, Dante, Michon, Segalen, Claudel, les moins connus Saint-Pol-Roux et Gabriel Bounoure ou encore Joseph Joubert (1754-1824) dont les Pensées l'accompagnent depuis cinquante ans, les hommages sans emphase se croisent, illuminés par un compagnonnage familier, parfois même amical des œuvres et de leurs créateurs. Dans la dernière partie, consacrée aux images, de ce Colportage à la cohérence souple, la photographie côtoie le cinéma et la peinture. Mais par le jeu des correspondances et des citations, on peut aussi trouver dans le chapitre « Traductions » le texte du photographe sicilien Ferdinando Scianna racontant sa rencontre avec Borges en 1984 à Palerme. 

A propos du personnage de l'artiste vu par Jean Starobinski, Gérard Macé note, en écho à sa propre expérience : « On reconnaît là ce qui fonde la vocation poétique, à laquelle Dante a donné le nom de Vita nuova, et qu'il oppose à la naïveté de ceux qui font des livres avec des souvenirs, ou qui ressassent au lieu d'accueillir la résurrection du passé comme une nouveauté. » L'invention de la mémoire était d'ailleurs le titre du livre consacré à l'œuvre de Gérard Macé par l'universitaire Laurent Demanze (José Corti, 2009), à qui est dédiée cette nouvelle édition.

Parce qu'il n'y a dans les essais de Gérard Macé ni corsets conceptuels ni systèmes explicatifs, mais plutôt une pensée plastique et vagabonde, le lecteur peut lui aussi déambuler à sa guise pour faire son marché dans la besace érudite du colporteur. Et prolonger la promenade dans Les mondes de Gérard Macé (Le Temps qu'il fait/Le Bruit du temps), un ouvrage collectif publié récemment, comme dans sa Rome éphémère, accompagnée des photographies de Ferrante Ferranti, parue en octobre chez Arléa, qui a accueilli en 2017 Kyôto : un monde qui ressemble au monde, où cet amoureux du Japon célèbre l'art des jardins. 

Gérard Macé
Colportage
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 29 euros ; 592 p.
ISBN: 9782072822728

Les dernières
actualités