Un peuple, un but, une foi. En wolof, la langue ethnique la plus parlée au Sénégal, Suñu gaal, signifie « notre pirogue ». Et ce n'est pas ce premier roman de Macodou Attolodé qui nous rassurera quant à la fragilité de la coquille de noix qui tangue à l'ouest de l'Afrique. Dakar dérive, la Casamance se déchire et seule la loi du plus fort matérialise les marches à gravir vers la réussite sociale. Ce n'est guère pire qu'ailleurs, juste un peu plus étatisé, et donc légalisé. Le jeune inspecteur de police Latyr Faye le constate à ses dépens lorsque sa hiérarchie le somme de libérer le gros bonnet de la cocaïne, qu'il vient d'interpeller après deux ans de traque et d'infiltration des réseaux. Il refuse et la sentence tombe. En retour de ses légitimes obstinations et insubordinations il se voit muté, séance tenante, du côté de Ziguinchor, au sud du pays et aux confins de nulle part. Le citadin dakarois encore utopiste découvre ainsi l'arrière-pays et les dures réalités casamançaises : après les trafics des villes, les dangers des champs. Pour autant, le banni n'en a pas fini avec ses convictions et son sens de l'honneur, joliment transcris par la souplesse chaloupée et l'humilité impavide des mots de Macodou Attolodé. D'une sobre douceur rédactionnelle, Étincelles rebelles n'abuse ni des épices locales ni de la misère ambiante ; ce qui relève du folklore et des croyances tribales, du pouvoir des abeilles et des panthères, est justement dosé.
Arrivé en France après son baccalauréat, l'auteur de 33 ans a acquis toute la nécessaire distance pour parler de son pays avec autant d'amour que de sévérité. Ses formules simples et mélodieuses racontent ce continent pillé, aussi indigent qu'attachant, riche de son histoire, pauvre de son présent. Latyr devra faire avec pour garder la foi et mener à bien son sacerdoce. Mais les yeux complices d'Aguène, belle et thaumaturge journaliste d'investigation, l'accompagneront vers l'inconnu : Ku dul toxu doo xam fu dëkk neexe (« Si tu ne changes pas de place, tu ne peux pas savoir quel endroit est agréable »). En route donc pour des territoires occultes où les guerres de positions sont amplifiées par les enjeux diplomatiques, commerciaux et mafieux, où l'idéaliste Latyr reprend ses croisades entre factions révoltées, bandits de grands chemins et chasseurs indépendants. L'écheveau de corruption politique, de violence, d'alliances et de trahisons, devient vite une jungle inextricable, sur fond d'exploitations minières dévastatrices et de business international de la drogue. À propos de jungle, et contrairement au nord désertique du pays, la végétation du sud fournit à Macodou Attolodé un terrain prompt à nous garrotter doucement tandis que se resserre de même l'étau autour de Latyr, Aguène et leurs rares soutiens. C'est âpre, forcément. Mais des pointes de mélancolie émaillent le récit comme germeraient des plantes vivaces au cœur des drames arides. La mort frappe à tout bout de champ, néanmoins la terre blessée et maltraitée continue de tourner en silence. L'optimisme n'est certes pas de mise, mais ce roman pudique s'écoule avec la pondération d'un fleuve africain, ramifié et apaisé par l'ombre protectrice des palétuviers.
Etincelles rebelles
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19 € ; 368 p.
ISBN: 9782073057075