Sortie du bois. « Une enfant de 10 ans se noie, sa maîtresse disparaît. » L'intrigue de Silvia et les ombres tient en cette simple phrase, une accroche de presse. Ce jour-là, la maîtresse d'école ne rentre pas chez elle. Après la classe, Silvia marche en direction de la forêt, le journal qui annonce la mort d'une de ses élèves à la main. Son intention n'est pas claire, elle ne sait pas où elle va, mais ainsi la maîtresse disparaît. On vient en effet de retrouver le corps sans vie de Giovanna, 10 ans, en CM2, dans un méandre du Cervo, le torrent qui dévale la région du Piémont. Avec ce double drame en préambule, et le livre paraissant dans la collection « La Bête Noire » chez Robert Laffont, on croit entrer dans un polar. Il n'en est rien. Ce roman délaisse les codes du genre pour bifurquer vers les chemins de traverse des romans atmosphériques et psychologiques. Nulle résolution à attendre ici, mais deux énigmes à sonder jusqu'au tréfonds, en parcourant, sous la pluie, dans des odeurs musquées d'humus et de champignons, le cœur des hommes frappés par cette double disparition.
Qu'est-ce qui a poussé cette enfant à se jeter dans la rivière du haut d'un pont ? Des seins apparus bien trop tôt, qui fascinent les garçons, la pression de la famille, celle de la maîtresse ? Quant à celle-ci, « est-elle morte, ou veut-elle simplement qu'on ne la trouve pas » ? Les villageois se perdent en conjectures. Silvia, cette femme « étrange », « réservée », qui toute sa vie a évité l'attention des autres, finit, en disparaissant « par attirer tous les regards ». Silvia se cache pour mourir au fond des bois, en proie à la culpabilité, aux doutes, atteinte d'une léthargie mortifère. Jusqu'à ce qu'un garçon, Martino, « maigre, nerveux, une grande asperge », s'approche d'elle comme on le ferait d'une bête sauvage, pour tenter, malgré elle, de la sauver. À moins qu'il ne décide de garder sa découverte secrète, pour obéir à la maîtresse ? Martino, stupéfait et bouleversé, se débat avec ce dilemme moral.
Ce roman rural, sis au pied des Alpes, offre, sans effets de manche, une immersion dans l'univers taiseux des Italiens du Nord, si éloignés de l'image cantabile de ceux du Sud. On y rencontre quelques thèmes universels, comme l'inquiétude des mères et la détestation des citadins, et des motifs plus locaux, tels les Cri-Cri, des friandises à croquer typiquement piémontaises, ou les attitudes rugueuses d'ados particulièrement teigneux. Le tout à une époque que l'on situe après la Seconde Guerre mondiale mais avant les smartphones, ce qui correspond à l'enfance de l'autrice, aujourd'hui âgée de 39 ans. Maddalena Vaglio Tanet est née dans le Piémont, a étudié en Toscane, à Paris puis à New York avant de s'installer à Maastricht. Docteure en littérature, écrivaine et poétesse, elle était finaliste du prestigieux prix Strega en 2023 avec ce Tornare dal bosco (« Sortie du bois »), devenu Silvia et les ombres. Cette fiction a été inspirée par un fait divers qui la touche personnellement et l'obsède depuis l'enfance. Cela a commencé par des allusions au sein de sa famille, avant qu'elle ne découvre que la cousine de son grand-père, maîtresse d'école, avait disparu à la suite du suicide d'une de ses élèves. Là où la compréhension butte, l'écriture tente et tentera toujours de jeter sa lumière.
Silvia et les ombres
Robert Laffont
Traduit de l'italien par Delphine Gachet
Tirage: 5 400 ex.
Prix: 21 € ; 324 p.
ISBN: 9782221276075