Les éditeurs de littérature abordent 2014 avec une production supérieure à son niveau du début de l’année 2013. 547 nouveautés (+ 4,2 %) sont programmées du 1er janvier au 28 février, soit l’offre la plus importante depuis l’hiver 2009. La rentrée étrangère accuse une légère baisse de 3 % avec 195 traductions contre 201. Mais le roman français est en hausse : 352 titres, son plus haut niveau depuis six ans, contre 324 l’année dernière (+ 8 %). Les premiers romans atteignent, avec 60 titres, leur niveau le plus élevé depuis 2010, après une sévère baisse en 2013. Que les éditeurs se risquent davantage à faire découvrir de nouveaux talents est en soi porteur d’espoir.
Valeurs sûres
Après les paris fous et les prises de risque de la rentrée d’automne et ses prix littéraires, les maisons d’édition abordent le début de l’année avec plus de philosophie. En misant d’abord sur des valeurs sûres, voire des vedettes. On attend baucoup des nouvelles productions d’Erik Orsenna, Lola Lafon, Marc Lambron, Maylis de Kerangal, Régis Jauffret ou Nina Bouraoui. Mais on retrouve aussi Katherine Pancol avec Muchachas ou Gérard de Cortanze qui signe L’an prochain à Grenade chez Albin Michel. Cette stratégie est frappante aussi chez Gallimard qui annonce Pierre Assouline (Sigmaringen), Tahar Ben Jelloun (L’ablation), Sylvain Tesson (S’abandonner à vivre) ou encore Philippe Sollers (Médium). Même démarche chez Grasset avec Dominique Fernandez (On a sauvé le monde) et Andreï Makine (Le pays du lieutenant Schreiber), ainsi que chez Flammarion avec Bernard Chambaz qui publie Dernières nouvelles du martin-pêcheur. Fayard prévoit le nouveau roman de Faïza Guène, qui avait fait parler d’elle il y a dix ans pour son premier roman, Kiffe kiffe demain, et qui revient avec Un homme, ça ne pleure pas, et Julliard celui de Philippe Besson avec La maison atlantique. Côté vedettes, l’actrice Sylvie Testud signe C’est le métier qui rentre, chez Fayard, le comédien Denis PodalydèsFuir Pénélope au Mercure de France, et Francis Huster son premier polar, Family killer au Passeur. Sans oublier les journalistes : Michel Field et Le soldeur chez Julliard, Patrick Besson et Mémoires de Clara chez Plon, ou Denis Jeambar qui se lance dans l’écriture de nouvelles avec Dark nights : nouvelles nocturnes chez Calmann-Lévy.
Suivi des auteurs
Cette rentrée littéraire d’hiver offre aussi aux éditeurs l’opportunité de mettre en lumière les auteurs qu’ils suivent fidèlement et ceux qu’ils accompagnent depuis quelques livres, le temps qu’ils construisent une œuvre. « En septembre, nous sommes plus sensibles au pitch, à la singularité du thème, explique Bertrand Py, directeur éditorial d’Actes Sud. En janvier, c’est autre chose : c’est plus divers, moins ou pas seulement narratif, avec une approche plus individualisée. »
Ainsi, Actes Sud retrouve pour cette rentrée Véronique Bizot qui publie Ame qui vive et Régine Detambel pour La splendeur. La maison programme aussi Le vertige danois de Paul Gauguin de Bertrand Leclair, auteur qui a rejoint ce catalogue en 2013, en même temps qu’Emmelene Landon avec Portrait(s) de George.
Calmann-Lévy travaille de son côté de longue date (depuis 1987) avec Gérard Mordillat, qui publie Xenia, un roman social optimiste et lumineux. Sabine Wespieser s’implique également auprès de Kéthévane Davrichewy depuis 2010, pour prendre le temps de la faire découvrir avec, en février, un drame sur les secrets de famille, Quatre murs.
Au Diable vauvert poursuit avec Romain Monnery : trois ans et demi après son premier roman, Libre, seul et assoupi, vendu à plus de 7 000 exemplaires, il revient avec Le saut du requin qui dissèque un couple moderne. La jeune maison de Serge Safran récidive avec Christophe Carlier, qui avait reçu le prix du Premier roman en 2012 pour L’assassin à la pomme verte, et sort le suivant, L’euphorie des places de marché. Zulma ne manque pas non plus son rendez-vous avec Hubert Haddad (Théorie de la vilaine petite fille), Le Dilettante offre une nouvelle tribune à Laurent Graff (Grand absent) et à Jean-Claude Lalumière (Comme un karatéka belge qui fait du cinéma). Léo Scheer reste fidèle à ses auteurs fétiches, programmant pour cette rentrée Nathalie Rheims (Maladie d’amour) et Les nouveaux émiles de Gab la Rafale de Gabriel Matzneff. Enfin, Stock poursuit son compagnonnage des auteures maison telles Anne Plantagenet (Trois jours à Oran) et Pascale Roze pour des nouvelles (Passage de l’amour) et accompagne désormais des auteurs accomplis comme Béatrice Fontanel, qui rejoint son éditeur Manuel Carcassonne avec Plus noire avant l’aube, et Hubert Mingarelli pour L’homme qui avait soif, tout en gardant un œil attentif sur la carrière de la jeune Solange Bied-Charreton qui développe de livre en livre sa vision âpre de la société contemporaine avec Nous sommes jeunes et fiers.
Place aux nouvelles
Cette rentrée, traditionnellement propice à la publication de nouvelles, est particulièrement riche en textes courts, genre couronné par un prix Nobel décerné en 2013 à Alice Munro, l’une des meilleures représentantes de cette forme littéraire. Outre celles de Pascale Roze et de Sylvain Tesson, remarquons aux éditions Dialogues, qui défendent le genre, la publication de trois recueils, dont Humeurs badines : nouvelles érotiques de Paul Fournel, président de l’Oulipo. Quelques essais littéraires sont aussi à noter, comme La grande vie de Christian Bobin (Gallimard) où l’auteur lutte contre ce monde moderne et numérique qui risque d’engloutir le livre, ou encore les Dernières pages de journal (2006-2012) d’Henri Bauchau à paraître chez Actes Sud. Enfin, signalons Eric Faye qui tient son journal de bord lors de ses quatre mois passés à Kyoto dans Malgré Fukushima (José Corti) et Hélène Cixous qui évoque, dans Le détrônement de la mort : carnet du Chapitre Los, les forces qui se sont manifestées à elle pour la dissuader d’écrire. Par ailleurs, l’éditeur et ancien ambassadeur à Malte, Daniel Rondeau, publie Vingt ans et plus chez Flammarion.
Au cœur de la guerre
La grande vague des biographies romancées de 2013 s’est tarie, pour céder la place aux romans historiques. Avec pour premier ou arrière-plan la guerre : la Seconde Guerre mondiale, toujours, les guerres napoléoniennes, celles au Liban ou en Yougoslavie. Et surtout, centenaire oblige, la Grande Guerre. Reprenant la thématique qui a si bien réussi à Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, dernier prix Goncourt, les auteurs exploitent la force littéraire de cette période. Calmann-Lévy soutient 1 rue des petits-pas de Nathalie Hug, qui décrit en creux les ravages de la guerre à travers le destin d’une femme exerçant le métier de sage-femme dans l’est de la France. Claude Duneton, réédité aux Presse de la Cité, fait revivre les victimes de 14-18 de son village natal de Corrèze dans Le monument : roman vrai, tandis que Belfond réédite Derrière la colline de Xavier Hanotte, publié en 2010, enrichi d’une préface signée par Philippe Claudel. Fayard, dans « La petite collection » de Mille et une nuits, programme un inédit d’Aurèle Patorni, Le carnet de Simplice, notes intimes d’un embusqué, sorte d’antijournal du poilu, écrit en 1917.
Présence singulière
Ce début d’année 2014 sera propice à des projets inattendus. Eric Chevillard, qui publie Ledésordre azerty aux éditions de Minuit, se retrouve lui-même l’objet d’une étude, Pour Eric Chevillard, annoncée dans cette même maison, sous la plume de quatre auteurs parmi lesquels Pierre Bayard, dont on se rappelle l’essai Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?. Insolite également, J’ai lu joue la rentrée littéraire avec un roman en semi-poche de David Foenkinos, La tête de l’emploi. Grasset lance une nouvelle collection, « Vingt-six », codirigée par Sacha Garel et Jeanne Garcin, la fille du journaliste et écrivain Jérôme Garcin. Cette collection en forme d’abécédaire donnera carte blanche à des écrivains et penseurs, à la condition qu’ils proposent une seule entrée par lettre pour chacune de leurs réflexions. C’est François Bégaudeau qui l’inaugure avec D’âne à zèbre, une fresque drôle où défilent personnages humains, animaux, philosophes, célébrités… Pour passer l’année moins « bêtes ». < S.M. avec A.-L. W
Les transferts d’hiver
Nina Bouraoui avait commencé chez Gallimard avec Teresa Cremisi. Elle la retrouve chez Flammarion, après avoir confié un moment ses romans à Stock. Flammarion accueille aussi Bernard Quiriny venu du Seuil, Héléna Marienské, François-Guillaume Lorrain et Franck Balandier, qui ne s’étaient encore fixés chez aucun éditeur en particulier, ou encore Christian Astolfi, qui arrive après un premier roman à La Chambre d’échos. Auteure de Flammarion, Lola Lafon rejoint, elle, Actes Sud. Tout comme Hélène Gaudy venue du Rouergue. Rivages, qui reconstruit son catalogue français depuis l’arrivée l’été dernier de l’éditrice Emilie Colombani, ancienne du Seuil, soutient le prochain roman de Pascal Ruffenach, édité précédemment au Seuil, et le deuxième texte d’Augustin Guilbert-Billetdoux, après son premier publié chez Gallimard. Yves Bichet propose son dernier roman au Mercure de France après un texte au Seuil et plusieurs chez Fayard. Valentine Goby, désormais publiée par Actes Sud, fait un petit détour par Alma pour un volume de la collection « Pabloïd ». Emmanuel Adely confie son récit de meurtre prémédité à Inculte après des romans chez Argol, Joëlle Losfeld, Stock et Minuit. Pour son troisième roman, Xavier de Moulins quitte Au Diable vauvert pour Lattès, et l’attaché de presse Gilles Paris arrive chez Héloïse d’Ormesson. Grasset accueille Andreï Makine, qui était publié au Seuil, et Jean Rouaud, édité chez Gallimard. Béatrice Fontanel quitte Grasset pour Stock. Enfin, Pia Petersen publie chez Plon Mon nom est dieu, après être passée chez Nil et plus récemment chez Actes Sud.
L’édition, l’écrit, la librairie et tutti quanti
Plusieurs romans français et étrangers ont pour cadre la librairie ou le monde de l’édition, quand ils n’en dissèquent pas les coulisses. Michel Field installe l’intrigue de son roman Le soldeur (Julliard) dans l’antre d’une librairie où un homme décide de vendre des livres de sa bibliothèque et croise une jeune femme qui le subjugue… Dans Comédie romantique d’André Bessy (Flammarion), une brillante éditrice de 35 ans cherche l’amour désespérément. Et dans Editeur ! (Ecriture), Emile Brami, ancien conseiller éditorial de la maison d’édition L’Editeur, concocte une fiction drolatique et cruelle librement inspirée de son expérience du microcosme de l’édition. Jean-Michel Delacompté raconte son amour des livres à travers la figure de son père, représentant chez Gallimard, dans Ecrire pour quelqu’un, dernier titre de la collection « L’un et l’autre » de J.-B. Pontalis. Parmi les livres étrangers, Howard Jacobson, lauréat du Booker Prize 2010, dresse avec La grande ménagerie (Calmann-Lévy) une satire amère du monde de l’édition face à la crise du livre : les librairies ferment à cause d’Amazon, les éditeurs se suicident et les écrivains trinquent… surtout quand leurs femmes prennent la plume à leur tour. Par ailleurs, Zoran Zivkovic met en place dans L’écrivain fantôme (Galaade) une énigme réunissant un écrivain, un chat et « cinq correspondants en enfer ». Hanif Kureishi retrace dans Le dernier mot (Christian Bourgois) l’histoire d’un biographe écartelé entre les attentes de son éditeur et celles de son objet d’étude, un écrivain d’origine indienne, soucieux de conforter son image.
Dans Le club de la petite librairie (City), Deborah Meyler décrit le parcours d’une jeune femme qui trouve de façon inattendue son salut en travaillant dans une librairie d’occasion excentrique de Manhattan. Et Robin Sloan évoque l’avenir de la culture digitale en situant lui aussi son roman dans une librairie, qui réunit un étrange cercle de lecteurs. Son roman, M. Pénombre, libraire ouvert jour et nuit (Michel Lafon), best-seller outre-Atlantique, associe le frisson à la bibliophilie magique.
Six Incontournables Français
Le personnage de Madame Bâ revient dans Mali, ô Mali (Stock), avec la fantaisie qu’on lui connaît et le même attachement aux traditions. Cette fois, avec son petit-fils, elle va se heurter de plein fouet au Mali d’aujourd’hui confronté à la violence du terrorisme. Erik Orsenna renoue avec la tradition française de l’écrivain voyageur pour dire le monde tel qu’il le voit et livrer un roman plus engagé.
La romancière et chanteuse Lola Lafon, qui arrive chez Actes Sud avec La petite communiste qui ne souriait jamais, écrit les vies de Nadia Comaneci, elfe roumain de 1,47 m, qui obtient, pour la première fois dans l’histoire des jeux Olympiques, la note parfaite en gymnastique à Montréal en 1976. Elle raconte la recherche de la perfection dans la Roumanie de Ceaucescu, le rideau de fer et le bloc communiste qui se fissure. Avec un système narratif malin à base d’échange de lettres, elle s’interroge sur l’écriture d’un mythe et sur ce que l’on fait des idoles.
Journaliste, Marc Lambron a reçu le prix Femina en 1993 pour L’œil du silence. Dans Tu n’as pas tellement changé (Grasset), il rend hommage à son frère mort du sida en 1995. Ce jeune homosexuel, que Frigide Barjot évoquait face aux journalistes comme cet amour de jeunesse qui se refusait à elle, est l’objet de ce récit de deuil qui cherche à rétablir la mémoire du disparu.
Couronnée par le prix Médicis 2010 pour Naissance d’un pont, déjà publié chez Verticales, Maylis de Kerangal revient avec Réparer les vivants (Verticales). Un roman, âpre et dur, où les parents, confrontés à la mort encéphalique de leur fils adolescent, autorisent le don d’organe. L’auteure suit ainsi « la migration du cœur » de Simon, d’hôpital en hôpital, jusqu’à la greffe, avec une forte empathie pour les personnages en prise avec cet étonnant voyage.
Après les romans polémiques Sévère et Claustria, Régis Jauffret revient avec une nouvelle fiction inspirée du réel. Dans La ballade de Rikers Island (Seuil), l’histoire s’est déroulée, il y a très longtemps, au début du XXIe siècle : le président d’une prestigieuse institution financière est accusé de viol par une femme de chambre et est incarcéré… Toute ressemblance avec un événement réel, touchant un homme politique français, n’est pas que fortuite.
L’auteure de La voyeuse interdite (Gallimard, prix du Livre Inter 1991), ou de Mes mauvaises pensées (Stock, prix Renaudot 2005) quitte l’autofiction pour un roman aux accents houellebecquiens publié par Flammarion. Standard trace l’histoire de Bruno Kerjen, technicien en électronique qui mène une vie normée, sans aspérité, que seule la mort de son père semble animer. Cet homme à la colère rentrée perd le contrôle après le retour de son amour de lycée, Marlène.
Six incontournables français
L’enfance au cœur des premiers romans
Les cicatrices et les traumatismes de l’enfance mais aussi ses joies inspirent de nombreux primo-romanciers. Une thématique qui s’accompagne souvent d’une réflexion sur la famille et le milieu social.
Cette année, les éditeurs publient davantage de premiers romans français que l’hiver dernier. On en compte 60 pour janvier et février 2014, contre 45 début 2013. La grande majorité des maisons d’édition publie un seul premier roman. Comme l’année dernière, Gallimard fait exception en en publiant quatre. Seules sept maisons en proposent deux : Albin Michel, Allary, Daphnis et Chloé, La Différence, Le Manuscrit, Naïve et Seuil.
De tout âge et de tout métier.
La parité n’est toujours pas atteinte mais on s’en approche. On compte 28 romancières pour 32 romanciers. Le doyen, Michel Deutsch, metteur en scène et scénariste, a 65 ans, et le benjamin, Edouard Louis, étudiant en philosophie et en sociologie à l’Ecole normale supérieure, 22 ans. Presque la moitié des primo-romanciers (49 %) ont plus de 40 ans. Côté personnalités, Denis Podalydès, acteur de théâtre et de cinéma et metteur en scène, publie son premier roman. Il avait obtenu le prix Femina essai en 2008 pour son recueil Voix off (Mercure de France). Un autre acteur se lance dans la fiction romanesque, Manuel Blanc, César du Meilleur espoir masculin en 1992 pour son rôle dans J’embrasse pas d’André Téchiné.
Beaucoup d’auteurs ont des professions inattendues, notamment dans le domaine des sciences et de la médecine. Jean-Robert Lépan est chirurgien, Manon Launay interne en pharmacie hospitalière, et Florence Charrier est psychanalyste. On compte aussi une mathématicienne, Michèle Audin, un ingénieur, Laurent Ladouari, un polytechnicien et entrepreneur, Philippe Hayat, et un architecte, Didier Laroque. Autres profils inhabituels : Philippe Marchandise, juriste et directeur des affaires publiques d’une grande entreprise, et Frédéric Doré, diplomate. A noter également la publication des premiers romans de deux étudiants : Edouard Louis et Thomas Dietrich.
Autour de l’enfance.
Le thème de l’enfance inspire nombre d’auteurs. Dans Ocean park, Ludovic Debeurme, plus connu comme dessinateur pour ses albums parus chez Cornélius ou Futuropolis, met en scène deux frères, qui, à peine sortis de l’enfance, ont été abandonnés par leurs parents (Alma). C’est aussi l’histoire de deux frères, des jumeaux, que raconte Mathieu Tazo dans La dynamique des fluides (Daphnis et Chloé). Rescapés d’un accident d’avion où leurs parents ont péri, et séparés juste après, ils se retrouvent vingt ans plus tard. Dans Crache les cuisses, Benoît Sourty met en scène une femme qui reçoit une déclaration d’amour anonyme (Fayard). Son enquête provoquera des réminiscences de son enfance. Une adolescente de 13 ans traînait son enfance brisée avant de tomber amoureuse d’un homme deux fois plus âgé qu’elle dans Et au pire, on se mariera de Sophie Bienvenu (Noir sur blanc). Le jour de l’enterrement de son mari, une vieille dame engage une conversation imaginaire avec son amie d’enfance, avec qui elle a vécu la montée du fascisme, dans Les conversations d’Anna Lisbeth Marek (Phébus). Dans Mon numéro dans le désordre de Guillaume Fédou, un jeune journaliste offre à sa mère en dépression, dont il est sous l’emprise, le voyage à New York qu’ils devaient faire quand leur famille était encore unie (Léo Scheer).
Le poids de la famille.
Cette réflexion autour de l’enfance se fond souvent dans une autre, plus vaste, sur la famille et le milieu social. Dans Martin de La Brochette, Thierry Des Ouches raconte l’histoire d’un garçon de bonne famille, antithèse de ses frères et sœurs, qui est surnommé depuis son enfance « P’tit Boudin » (Daphnis et Chloé). Cette question de conformité aux conventions sociales est aussi abordée dans En finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis (Seuil). La manière de se tenir, l’élocution et la délicatesse du héros, élevé dans une famille ouvrière, sont moquées par ses camarades de classe mais aussi par ses parents. Lui-même va s’interroger sur cette homosexualité dont on le taxe. Dans Bien-aimé Tchebychev, Caroline Renédebon raconte l’histoire d’une famille, qui sur sept décennies, relève successivement de différents milieux sociaux (La Différence). Enfin, l’adolescente héroïne de La légèreté d’Emmanuelle Richard, en vacances sur l’île de Ré, a honte de ses parents aux origines sociales modestes (L’Olivier).
Les femmes occupent une grande place dans plusieurs romans. Elles sont tour à tour fruits du désir (Paris est un rêve érotique de Thibault Malfoy, Grasset), grand amour (Dans ton corps de Francis Métivier, Le Passeur), victimes de violences conjugales (A l’instant précis où les destins s’entremêlent d’Angélique Barberat, Michel Lafon) ou d’un passé douloureux (Zone d’amour prioritaire d’Alexandra Badea, L’Arche ; Et elles passèrent sur l’autre rive de Françoise Landrot, Béatitudes), trompées ou maîtresses (Le secret de Diane de Jean-Robert Lépan, Nouvelles Plumes ; Un temps égaré de Marie-Laure de Cazotte, Albin Michel ; Les fidélités de Diane Brasseur, Allary ). M. Q.
Une rentrée étrangère branchée
Outre les très attendus Donna Tartt et Ian McEwan, les lecteurs branchés pourront se précipiter sur Woody Guthrie, Jeffrey Abrams, ou Tao Lin.
Avec 195 titres contre 201 en janvier-février 2013, la rentrée étrangère d’hiver 2014, comme celle de l’automne 2013, est légèrement resserrée (- 3 %). Les éditeurs misent sur les poids lourds et les auteurs reconnus. Outre les très attendus Donna Tartt, Ian McEwan,Hanif Kureishi, Alaa El Aswany et Ron Rash (voir ci-dessous), on retrouvera en début d’année, Javier Cercas avec Les lois de la frontière, l’histoire d’un petit caïd de Gerone (Actes Sud) ; Christa Wolf avec le personnage d’August, un enfant rencontré par l’auteur en 1946 dans un sanatorium (Bourgois) ; A. S. Byatt avec La fin des dieux (Flammarion) ; Jonathan Coe, qui se lance dans la parodie de roman d’espionnage avec Expo 58 (Gallimard) ; et Andrew Sean Greer, l’auteur de l’Histoire d’un mariage avec Les vies parallèles de Greta Wells (L’Olivier).
Du Texas à Liverpool.
Il n’est pas de rentrée sans titres branchés pour des lecteurs qui ne le sont pas moins. La maison de terre du chanteur folk Woody Guthrie, qui raconte la vie d’un couple d’agriculteurs dans le Texas des années 1930, (Flammarion) est de ceux-là ; comme S., du réalisateur Jeffrey Abrams, un livre-ovni sur un écrivain énigmatique du XXe siècle (Michel Lafon). Dans le même genre, Au Diable vauvert parie sur Tao Lin, l’étoile montante des lettres américaines, comparé à Bret Easton Ellis, avec Taipei, un roman d’initiation, et une nouvelle autobiographique, Vol à l’étalage chez American Apparel. J. Robert Lennon, avec Mailman, l’histoire d’un postier qui intercepte le courrier, (Monsieur Toussaint Louverture) arrive avec la réputation d’un nouveau John Kennedy Toole. No sex de Tim Parks (Actes Sud) ; Récif du Mexicain Juan Villoro (Buchet-Chastel) dont le héros invente le concept de « tourisme de la terreur », Dans la dèche à Los Angeles de Larry Fondation (Fayard), en référence à George Orwell, Black néon de Tony O’Neill dans lequel on retrouve les héros de Sick city, devenus assistants pour un film sur les bas-fonds de Los Angeles (13e Note), Mauvaise vie, premier roman d’Helen Walsh, sur fond de sexe et de drogue dans la nuit de Liverpool (Flammarion), Le messager de Charles Stevenson Wright (Tripode) sur l’atmosphère de New York… ne sont pas en reste. Sans oublier Hors-bord de Renata Adler (L’Olivier), paru en 1976 et prix Ernest-Hemingway, qui n’avait jamais été traduit en France.
Des nouvelles et des fresques.
Le prix Nobel décerné à Alice Munro a-t-il remis la nouvelle au goût du jour ? Les lecteurs pourront découvrir celles de Douglas Kennedy (Belfond) ; Sandro Veronesi (Grasset), dont les héros ont en commun d’être « hantés par des questions irrésolues aux conséquences dramatiques » ; Colm Toibin (Laffont) ; Christopher Cook (Rivages) et Tobias Wolff (Bourgois). Quant à Julian Barnes (Mercure de France), il apporte un recueil de trois récits qui s’entremêlent.
On pourra aussi se pencher sur le roman de Timothy Findley qui a pour décor la Première Guerre mondiale (Guerres, Phébus), et sur les nouveaux textes de nombreux auteurs : Elizabeth Gilbert (l’auteure de Mange, prie, aime), qui livre le beau portrait d’une botaniste du début du XIXe siècle (L’empreinte de toute chose, Calmann-Lévy) ; Howard Jacobson (La grande ménagerie, Calmann-Lévy) qui délaisse la question juive pour mettre en scène un écrivain en mal d’inspiration ; Anne Tyler (Les adieux pour débutants, Stock), dont le héros, éditeur, perd sa femme ; Daniel Woodrell (Un feu d’origine inconnue, Autrement) ; ou Jan Guillou qui publie son deuxième volet de la fresque sur l’Europe du XXe siècle (Le siècle des grandes aventures, Actes Sud). Citons également Alexander Maksik (La mesure de la dérive, Belfond) sur l’émigration, Maggie O’Farrell (En cas de grosse chaleur, Belfond).
Rentrée asiatique.
Si les Anglo-Saxons continuent de dominer avec plus de la moitié des traductions (99 titres sur 195), celles des pays européens sont en hausse : dix-huit titres sont traduits de l’espagnol, dont un recueil de nouvelles d’Eduardo Mendoza (Seuil) et seulement deux Argentins, Raquel Robles (Petits combattants, Liana Levi) et Guillermo Martínez (Moi aussi, j’ai eu une petite amie bisexuelle, Nil). Parions que les livres venus d’Argentine seront plus nombreux en mars pour le Salon du livre de Paris, dont l’Argentine est le pays invité . Les Italiens reviennent en force avec treize traductions, parmi lesquelles on retrouve Marcello Fois (Seuil) et Fabio Geda (Albin Michel), ainsi que les Allemands - neuf titres -, dont le premier roman d’Olga Grjasnowa (Les Escales). Mais cette rentrée est aussi riche en auteurs asiatiques, chinois (Picquier, Stock), coréens ou vietnamiens (Wespieser).
Deux titres, parmi les essais, feront également parler d’eux : Le retour du vieux dégueulasse de Charles Bukowski, un recueil de chroniques qui ne figurent pas dans Journal d’un vieux dégueulasse (Grasset); et les écrits de la chanteuse Patti Smith, Les années 1970 (Tristram). < C. C.