Avant-critique Bande dessinée

Enfant perdu de la révolution. Majid Bita, né en Iran en 1985, a grandi dans une famille qui a connu le renversement du nationaliste Mossadegh par les puissances occidentales, la dictature du shah, la révolution islamique menée par Khomeyni, la guerre contre l'Irak. Des bouleversements majeurs et violents, sujets à disputes entre les générations. Puis il y a eu l'élection de Mohammad Khatami, qui a laissé entrevoir la possibilité de réformes démocratiques profondes. Avec une déception à la hauteur des enjeux... Pour devenir artiste, Majid Bita n'a donc eu d'autre choix que de partir, pour étudier à Bologne où il vit depuis 2014. Sans véritable espoir de retour.

« Certains partent pour suivre un idéal, d'autres pour atténuer la douleur qui les déchire, écrivait-il en 2021 dans sa postface. Chacun a son histoire, avec ses singularités. Mais nous vivons tous dans des limbes, sur le qui-vive pour ne pas être écrasés par la folie administrative qui règne d'une main de fer sur notre quotidien. » Même à des milliers de kilomètres de sa terre natale, Majid Bita exprime la souffrance d'avoir dû s'arracher à un pays qu'il chérit, et de n'être pour toujours qu'un « exilé à moitié ». Cependant, il ne fait pas de l'exil en lui-même le sujet de sa première bande dessinée : Né en Iran se présente en effet comme une collection d'instantanés de son enfance et de son adolescence. Comme un portrait de famille, et plus largement d'une société victime d'un autoritarisme qui la consume à petits feux.

Majid Bita parle d'une nuit de séisme, de confiseries chapardées, d'une couverture traditionnelle trop pesante, de discussions politiques nocturnes, de manifestations... Ces histoires sont brossées dans un noir et blanc sauvage, griffé et taché d'encre, où les visages se déforment sous le coup des émotions du gamin qu'il était, et où le réalisme de la reconstitution laisse la place à des visions grotesques ou cauchemardesques, à la fois peurs enfantines et incarnations fantastiques du mal qui gangrène le pays. L'ensemble pourra paraître disparate, outrancier, insondable. L'album est surtout une évocation viscérale du désespoir qui infuse chez Majid Bita, un support pour les cris d'un exilé qui, comme tant d'artistes iraniens avant lui, ne veut pas mourir de son déracinement.

Majid Bita
Né en Iran
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 26 € ; 352 p.
ISBN: 9782075201018

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