Éric Cez, cofondateur des Éditions Loco, en faisait le constat lors de la 3e édition du parlement de la photographie, organisée en juin dernier à Paris : le marché du livre de photographie est « paradoxal ». D’une extrême profusion – chaque année, il paraît environ 400 ouvrages en France –, il se caractérise aussi par la fragilité de ses acteurs, le coût élevé de fabrication des titres et ses faibles ventes. Sauf exception, une monographie consacrée à un photographe dépasse rarement les 1 000 à 1 500 exemplaires. À ce titre, l’augmentation du nombre d’acteurs ces dernières années a exacerbé la concurrence sur un marché déjà identifié comme étant « de niche » : « Il y a beaucoup plus d’éditeurs aujourd’hui qu’il y a 20 ans, mais la taille du gâteau, elle, n’a pas augmenté », ajoutait Éric Cez.
Dans ce contexte structurel, le marché du livre de photographie voit son économie encore un peu plus perturbée par la crise du papier, l’explosion des coûts du transport, de l’énergie et de la production. « La situation est dramatique face à ces augmentations que nous ne maîtrisons pas », déplore auprès de Livres Hebdo Marianne Théry, fondatrice de Textuel, dont une large part du catalogue est dédiée aux livres de photographie. Adossé depuis 2008 à Actes Sud, qui détient 65 % de son capital, Textuel a par exemple publié fin 2020 Une histoire mondiale des femmes photographes : plus grand succès de la maison avec 13 000 exemplaires vendus, le titre avait bénéficié d’un premier tirage à 6 000 unités pour un prix fixé à 69 euros, avant d’être réimprimé à plusieurs reprises. « Aujourd’hui, les coûts ont tellement augmenté qu’il serait difficile de nous lancer dans un tel projet », assure Marianne Théry. Textuel n’est pas un cas isolé. Pour continuer à publier, les éditeurs sont contraints de réévaluer leurs prix et/ou rogner sur les coûts de fabrication.
Un secteur dynamique
S’il est fragile, le secteur n’en conserve pas moins une belle vitalité, comme en témoigne l’organisation du 10 au 13 novembre de la 25e édition de Paris Photo, première foire internationale dédiée à la photographie. L’évènement, qui se déroule au Grand Palais Éphémère, accueille 183 exposants cette année, parmi lesquels une large majorité de galeries, mais aussi 34 éditeurs en provenance de neuf pays différents. « Nous avions 28 éditeurs l’an dernier. La place qui leur est allouée a non seulement été préservée, mais aussi augmentée. C’est d’autant plus significatif que nous avons perdu 20 % de superficie depuis que Paris Photo a quitté le Grand Palais pour le Grand Palais Éphémère », souligne Florence Bourgeois, directrice de Paris Photo.
Avec un tarif de 6 280 euros HT pour le stand de 10 m2, l’investissement demeure conséquent pour qui veut s’exposer sur la foire. Mais il est « vite rentabilisé », assure Marianne Théry, en habituée de la manifestation. L’éditrice, qui réalisera une part majeure de son chiffre d’affaires annuel d’ici Noël, aborde Paris Photo avec optimisme. Les maisons d’édition n’ayant pu s’offrir un espace s’exposent quant à elles dans des lieux alternatifs, tels Polycopies (voir encadré).
De fait, les événements professionnels constituent un important complément de revenus pour les éditeurs. Pour assurer leur équilibre financier, la plupart pratiquent également la vente directe via leur site web. « Hormis dans quelques librairies spécialisées, les livres de photographie restent plutôt mal connus des libraires, rappelle Anna-Karine Robin, coordinatrice de l’association d’éditeurs indépendants France Photo Book. Les éditeurs ont besoin de trouver des relais complémentaires pour gagner en visibilité et trouver de nouveaux lecteurs. Un événement comme Paris Photo est incontournable pour l’ensemble de l’écosystème. »
Des ouvrages qui « se vendent très mal »
Forte de 26 membres, France Photo Book s’est justement donné pour mission de « faire reconnaître le livre de photographie comme un champ éditorial à part entière ». Elle a publié pour la première fois cette année une revue France Photo Book, distribuée auprès de 2 000 libraires, et nourrit le projet de créer un prix des libraires.
Mais ce volontarisme est encore loin de suffire à bouleverser le modèle économique atypique des éditeurs de livres de photographie. « Nous concevons des ouvrages qui coûtent très cher à produire et qui se vendent très mal, rappelait en juin dernier Éric Cez, au parlement de la photographie. Les seules ventes en librairie ne suffisent pas à couvrir l’investissement initial. En tant qu’éditeurs, nous avons besoin de trouver des montages pour assurer la viabilité de nos projets. Nous devenons des producteurs. » Subventions, financement participatif, mécénat… tous les moyens sont bons pour équilibrer les comptes.
« Nous cherchons des financements partout où c’est possible, confirme Marianne Théry. S’appuyer sur une exposition est souvent indispensable pour faire paraître une monographie. » L’été dernier aux rencontres d’Arles, l’éditeur a par exemple publié Les photos qu’elle ne montre à personne, de Katrien De Blauwer. « L’exposition s’est montée à Arles sur notre proposition, détaille Marianne Théry. Cela a permis au livre d’exister avec 800 exemplaires vendus en librairie et 400 exemplaires vendus à Arles par la librairie d’Actes Sud. »