Être à l'Ouest. Au départ donc, il y a deux êtres humains qui n'en peuvent plus. Plus du tout. Épreuves, éprouver, un sacré méli-mélo. Résumons. La fille, d'abord. Aurore. Mère célibataire, un certain âge, une certaine fatigue. Un bon boulot, mais qui pourrait l'être moins sans que la face du monde ou l'ordre de ses désirs en soient changés. Une liaison triste, dans un appartement loué pour quelques heures, avec un collègue de bureau. Les jours et les nuits, également navrants, qui passent. Aussi, dès qu'une avanie professionnelle se transforme en opportunité (de télétravail, en l'occurrence), Aurore prend-elle ses clics, ses clacs, son fils, et file-t-elle dans une vieille baraque de famille perdue au milieu du causse non loin de Cajarc dans le Lot, pour s'assurer de renoncer désormais sagement à toute idée d'avenir. Qui vivra verra...

Ensuite, le garçon. Pas n'importe lequel. Alexis Zagner, peut-être le comédien le plus doué de sa génération, un monstre sacré des planches. Planches qu'il quitte sur un ultime coup d'éclat, renonçant à interpréter le rôle de Dom Juan qui lui était promis, pour le bénéfice de sa partenaire. Ce beau geste, compris d'abord comme un engagement envers la place des femmes, sera rapidement remis en question lorsque son donjuanisme justement, frôlant parfois le harcèlement, sera révélé en même temps que le suicide d'une très jeune femme qui fut l'une de ses conquêtes. Devenu le mouton noir d'une société avide de vengeance, Alexis fuit. Jusqu'à cette ferme lotoise au milieu de nulle part si ce n'est du silence et de l'absence à soi-même. Jusqu'à Aurore. S'engage alors ce qui pourrait être un amour, une passion. Ce qui est, finalement, un duel. Un western.

Or, « si le western est un genre, c'est le féminin. Il articule en un seul trajet l'idée du destin, l'idée du tragique de la condition humaine à celle de la plus fascinante liberté. C'est quoi, tout ça en une seule forme, sinon une femme », écrit Maria Pourchet, dont ce fascinant Western prolonge la beauté radicale et enfiévrée de Toutes les femmes sauf une et de Feu (Fayard, 2018 et 2021). Si quelques grandes interrogations contemporaines (lutte des sexes, dernières lueurs du patriarcat, complexité de la notion de couple, dialectique entre le désir et le réel...) sont au cœur de ce livre, c'est sans verser dans l'éditorialisme qui fait trop souvent son nid dans le champ de la littérature. Maria Pourchet est fondamentalement romancière. Et tous ses questionnements se trouvent comme fondus dans une énergie narrative sans pareille. Au-delà de ces questions, au-delà de l'humour infini qui innerve chaque page du livre, c'est bien sûr le discours amoureux, un état des lieux de la passion (possible, souhaitable autant que redoutée), qui demeure la grande affaire de l'autrice. Dans leurs refus comme dans leurs redditions, Alexis et Aurore, pour filer la métaphore de la conquête de l'Ouest jusqu'au bout, ont un air de Joan Crawford et Sterling Hayden dans le Johnny Guitare de Nicholas Ray. En fait, ce western-là est aussi un opéra.