L'Histoire se construit aussi sur ses échecs. En voici un. Ce n'est pas le plus dramatique dans le passé de la France, mais il a beaucoup à nous dire sur l'après, sur ce qui nous constitue et sur notre rapport à cette curieuse maison que l'on nomme République. Marie-Hélène Baylac qui avait signé en 2019 chez Perrin une épatante biographie d'Agatha Christie mène l'enquête sur la mort de la Deuxième République. Qui est le coupable, comment le crime a-t-il été commis, y a-t-il eu préméditation ?
Mais d'abord elle revient sur sa naissance, sur cette révolution de février 1848 qui succède à la monarchie de Juillet. La Deuxième République était censée avoir appris de la Première et des impasses tragiques de la Révolution. La même envie est à la manœuvre : mettre fin aux injustices. Mais elle est aussi à l'origine une révolution d'écrivains. Tocqueville, Hugo ou Lamartine considèrent que le monde doit être plus équitable. Le cours de Michelet sur la Révolution française est interdit au Collège de France et l'indignation finit par se répandre dans la rue. Le romantisme est en marche et l'on fait de la politique dans le but d'instaurer « l'accord mutuel et l'universelle harmonie des intérêts et des cœurs ». Avec de belles phrases et des idées généreuses, on laisse le champ à ceux qui veulent puiser dans l'héritage des utopistes socialistes. Or cela ne laisse pas d'inquiéter.
Echec constructif?
Les Français ont peur d'une République trop « rouge » qui veut tout organiser, à commencer par le travail. L'Assemblée constituante qui sort du suffrage universel direct masculin en 1848 est constituée de modérés, voire de « républicains du lendemain ». Un an plus tard, le parti de l'Ordre triomphe aux élections législatives. La République glisse doucement dans la réaction et en 1851 le neveu de Napoléon 1er rafle le pouvoir sur le prestige du nom.
Cinquante ans après la Première, la Deuxième République a été instaurée parce que la monarchie s'est effondrée sur elle-même. Marx l'observe comme un mouvement tiède qui ne prend pas suffisamment à son goût en compte la lutte des classes et rejette le drapeau rouge. Ceux qui rêvent de refaire la Terreur de 1793 en sont pour leur frais. Dans cette aspiration à une société plus juste, il y a quelques décisions, mais peu au regard des attentes. La Deuxième République racontée par Marie-Hélène Baylac ressemble à une répétition de ce que fut la Commune à ses débuts.
L'historienne montre avec beaucoup de clarté combien cet échec est aussi un laboratoire politique, ne serait-ce que sur le plan de l'élection du président de la République au suffrage universel direct, mais avec toutes les innovations concernant le travail, la santé, l'apprentissage, l'aide sociale, l'amélioration de l'habitat et l'abolition de l'esclavage dans les colonies. C'est peut-être dans le Cid de Corneille qu'il faut trouver le sens de cette République manquée qui s'est installée non pas sur une victoire mais sur un départ. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
De la peur du peuple
Perrin
Tirage: 2 200 ex.
Prix: 24 € ; 432 p.
ISBN: 9782262070663