Essai

Matthew B. Crawford, «Prendre la route» (La Découverte) : Éloge du conducteur

Matthew B. Crawford - Photo © Robert Adamo

Matthew B. Crawford, «Prendre la route» (La Découverte) : Éloge du conducteur

Le mécanicien philosophe Matthew B. Crawford se livre à un iconoclaste plaidoyer pour l'art de la conduite. Tirage à 5000 exemplaires.

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Par Véronique Rossignol
Créé le 01.03.2021 à 16h45

Se lancer dans un plaidoyer pour l'art de conduire peut paraître s'engager à contresens sur l'autoroute du futur où roulent en douceur des véhicules sans conducteur. Pas étonnant que ce soit le réparateur de motos et philosophe, chercheur enseignant à l'Institut des hautes études culturelles de l'université de Virginie, Matthew B. Crawford qui propose cet éloge peu orthodoxe de la conduite automobile. Après Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail (2010), où il réhabilitait le travail manuel, et Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver (2016) où il décryptait la crise de l'attention, avec Prendre la route. Une philosophie de la conduite, l'homme qui réfléchit avec les mains dans le cambouis poursuit ses enquêtes d'anthropologie philosophique avec une défense passionnée des engins roulants motorisés, vus comme « une espèce de prothèse amplifiant nos capacités corporelles ». « Conduire, c'est exercer notre aptitude à être libres, et je crois que c'est pour cela que nous aimons ça », entend-il démontrer.

Dans le collimateur de ce penseur mécano : les fameux véhicules dits autonomes qui promettent l'amélioration de la sécurité et la fluidité du trafic. Or, l'élimination du conducteur, l'automatisation de la conduite, bref, notre devenir passager programmé participent selon lui d'un processus d'infantilisation et de déresponsabilisation. La perte de nos capacités propres de pilotage est préjudiciable à notre autonomie. Conduire ou se laisser conduire, telle est la question, et le choix est aussi éthique que politique. Il s'agit de souveraineté, d'autodétermination, tant individuelle que démocratique. Comme dans Contact, Crawford s'alarme ainsi de ce que ce temps « gagné » puisse être accaparé par des acteurs technologiques et économiques plus intéressés à exploiter et commercialiser notre attention rendue « disponible » qu'à nous émanciper.

Réflexions philosophiques, études sociologiques, développements utopistes, anecdotes personnelles racontées avec humour et, parfois, un « sentimentalisme lyrique » dont il se moque composent cet essai où l'on passe du récit d'une panne édifiante à l'analyse de « l'énergie guerrière » du sport automobile, de l'imagination d'un nouveau régime de permis de conduire à une déclaration d'amour aux vieux tacots... Où, reconnaissant qu'on peut y voir « une lubie de vieux blaireaux nostalgiques », il relève toutes les implications des programmes de mise au rebut, telles les primes à la casse sous prétexte d'écologie, montrant les coûts environnementaux cachés et les arrière-pensées politiques. Certains développements sont franchement techniques : l'auteur lui-même engage à les sauter si votre intérêt pour le sujet ne va pas aussi loin que l'explication détaillée du principe du moteur à combustion interne. Mais il est très convaincant quand il affirme qu'une réparation mécanique de haute précision peut devenir une expérience métaphysique. Et qu'il nous engage à prendre la route, sans lâcher le volant.

Matthew B. Crawford
Prendre la route Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Saint-Upéry et Christophe Jaquet
La Découverte
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 23 € ; 360 p.
ISBN: 9782707198808

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