Si la notion d'histoire - monde qui met en évidence les connexions entre les civilisations - est assez récente, les relations entre les peuples remontent à la plus haute Antiquité et même au-delà. Maurice Sartre, non seulement le rappelle avec force, mais le démontre avec brio. Ce grand spécialiste de la Syrie antique et de l'Antiquité gréco- romaine, professeur émérite à l'université de Tours, nous présente une mondialisation incomplète dans une Europe pleine de trous, avec des territoires inconnus, des continents qui s'ignorent encore et des limites floues, « une mondialisation nécessairement réduite au monde qu'ils connaissent », explique-t-il, mais une mondialisation tout de même. En adoptant un ordre géographique plus que chronologique, du Grand Nord à l'Asie et dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, l'historien fait apparaître les traces des échanges entre les civilisations antiques sur une période de mille ans. Pour cela, il fait appel aux écrits, aux inscriptions, aux éléments archéologiques et numismatiques qu'il place en début de chaque chapitre, méthode qu'il avait déjà adoptée dans ses Histoires grecques (Seuil, 2006). Chacun d'eux sert de point de départ à une analyse fouillée où le savoir rehausse la saveur du récit.
Nous faisons ainsi connaissance avec Pythéas, Grec de Marseille, « le plus menteur des hommes » selon Strabon, qui affirme à la fin du IVe siècle avant notre ère avoir navigué jusqu'à Thulé, à l'extrême nord. Puis nous assistons aux échanges entre Rome et l'Arabie heureuse, via la mer Rouge qui ouvre une route jusqu'à l'Inde et au poivre du Kerala. C'est ainsi que les découvertes de la grotte de Hôq nous donnent des éléments sur les voies de l'encens. Nous suivons aussi la navigation d'un bateau palmyrénien vers la Scythie, c'est-à-dire vers l'Inde du Nord-Ouest au IIe siècle de notre ère, et celle d'un ambassadeur romain à la cour de Chine au Ve siècle. Ce travail remarquable met en évidence une chose : la curiosité des Grecs et des Romains pour le reste du monde. Et pas seulement dans le seul but du profit. Certes, Pline dénonce le luxe de l'aristocratie romaine au milieu du Ier siècle et regrette que l'Empire dépense son or en Inde pour acheter des produits dispendieux. Cent navires par an font le voyage au temps d'Auguste, mais ce qu'ils rapportent ne se mesure pas seulement en marchandises précieuses. Lorsque les Grecs découvrent le Gange, les brahmanes et les ascètes au Ier siècle, les conséquences ne sont pas que financières, même si sur une monnaie figurent Héraclès et des dieux indiens. « Grâce aux commerçants et voyageurs, les Méditerranéens ont découvert d'autres mondes. »
Le propre de l'homme consiste à se déplacer, physiquement et mentalement. Dans un monde qui ne bouge plus, nous pouvons encore circuler dans le passé comme nous y invite ce livre brillant, à la découverte de cette terre connue, cet espace habitable avec la diversité de ses peuples et de ses coutumes que les Grecs désignaient sous le nom d'« écoumène ».
Le Bateau de Palmyre
Tallandier
Tirage: 3 800 ex.
Prix: 21,9 € ; 352 p.
ISBN: 9791021046832