Roman

Max Porter, "La mort de Francis Bacon" (Seuil) : Tandis qu'il agonise

Max Porter - Photo © Lucy Dickens

Max Porter, "La mort de Francis Bacon" (Seuil) : Tandis qu'il agonise

Avec La mort de Francis Bacon, Max Porter offre un récit en forme de fragments violemment poétiques des derniers jours du peintre à Madrid.

J’achète l’article 1.5 €

Par Olivier Mony
Créé le 31.03.2022 à 18h00 ,
Mis à jour le 01.04.2022 à 12h56

En avril 1992, Francis Bacon partit en voyage à Madrid pour y retrouver son dernier grand amour, José Capelo. Las, quelques jours à peine après son arrivée, le peintre alors âgé de 82 ans, souffrant de graves problèmes respiratoires dus à son asthme chronique, fut admis dans un hôpital catholique madrilène. Il y restera en soins intensifs six jours, jusqu'à sa mort, veillé et soigné par une nonne, sœur Mercedes, de la congrégation des servantes de Marie. Six jours d'agonie donc, dans le silence et la solitude. Six jours de mystère, aussi.

La mort de Francis Bacon, bref texte audacieux et puissant du jeune romancier britannique Max Porter (découvert en France avec le splendide La douleur porte un costume de plumes, Seuil, 2016), est donc d'abord une tentative de combler ce silence, de dissiper ce mystère, des six derniers jours du peintre. C'est une tentative de capturer par le langage quelque chose du tourment de Bacon, du chaos sublime de sa vie amoureuse et artistique. Le livre se compose de sept courts chapitres comme autant de tableaux, chacun s'ouvrant par l'invitation du malade à sœur Mercedes à s'asseoir sur sa couche et se clôturant par la même invitation : « intenta descansar » (« essayez de vous reposer »)... 

Bacon meurt, Bacon rêve, Bacon hallucine. Du fond de son tourment, il n'y a déjà plus de vivant en lui que ce qui toujours le tord de douleur, ce qui, dans cette distorsion sublime du réel, fonde sa peinture. Reviennent aussi à sa mémoire, non les triomphes, mais les doutes : les siens et ceux des autres (« ses distorsions ne relèvent du snobisme, ni de l'innovation, mais du mensonge. C'est un menteur de talent, un menteur extravagant qui a eu la chance de trouver le mode d'expression qui lui convient »). En ligne avec l'audace littéraire de son projet, Max Porter s'élève dans son écriture à la frontière entre l'abstraction et le récit, à l'image du travail pictural de Bacon. Ce faisant, il confirme son goût pour la recherche des formes les plus expérimentales de la prose, des chemins ignorés de la narration. Cela nécessite − et c'est également toute la noblesse de sa démarche − un plein assentiment du lecteur, invité en quelque sorte à faire sa part du travail. Après tout, la poésie ne se mérite pas, elle se partage.

Max Porter
La mort de Francis Bacon Traduit de l’anglais par Charles Recoursé
Seuil
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 14 € ; 80 p.
ISBN: 9782021480634

Les dernières
actualités