Avant-critique Roman

Maxime Rovere, "Le livre de l'amour infini. Vie d'Apollonios, homme et dieu" (Flammarion)

Maxime Rovere - Photo © Pascal Ito/Flammarion

Maxime Rovere, "Le livre de l'amour infini. Vie d'Apollonios, homme et dieu" (Flammarion)

Maxime Rovere retrace, sous forme romanesque, l'itinéraire méconnu d'Apollonios de Tyane, philosophe de l'amour infini, et dont les pères de l'Église ont occulté l'existence.

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 26.02.2024 à 09h00

L'amant du vrai. Dès lors que l'empereur Constantin eut abandonné le culte des dieux romains et se fut converti au christianisme, les évêques se mirent à définir clairement la nouvelle religion d'État. Les premiers pères de l'Église firent le ménage parmi les nombreuses interprétations erronées et surtout voulurent effacer les anciennes croyances... Sous les règnes de Néron et de Trajan vécut un sage du nom d'Apollonios, se revendiquant de Pythagore, qui enseignait l'amour comme principe même du monde en « asséchant » les souffrances des autres. Originaire de Tyane en Cilicie (sud de l'actuelle Turquie), cet « amant du vrai » est comparé à Jésus de Nazareth. Ainsi les apolloniens sont-ils perçus comme en concurrence directe avec les chrétiens. Le concile de Nicée en 325 bannit toute référence à l'existence d'Apollonios. Les édits de Théodose interdirent la biographie de Philostrate Vie d'Apollonios de Tyane sous peine de mort. N'étaient la survivance d'une tradition hermétique dans l'Antiquité tardive et les travaux minutieux des chercheurs contemporains, les traits de ce theios aner, « homme dieu », se seraient perdus dans la nuit des temps... C'est à partir de ce précieux matériau philologique et archéologique que Maxime Rovere a imaginé Le livre de l'amour infini. Dans la lignée des Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar, ce roman retrace les pas d'Apollonios à travers la voix de Damis, son disciple assyrien, engagé au départ comme traducteur lors du voyage vers l'Est qu'entreprit le philosophe pour s'initier à la pensée indienne.

Amoureux de Psyché, Damis voulait gagner de l'argent pour pouvoir racheter sa bien-aimée devenue esclave à Babylone. Au cours de la pérégrination, le narrateur, tout en faisant l'interprète pour Apollonios, va apprendre du maître la grammaire de la vie bonne. La vérité n'est pas tant véhiculée par les mots que par des chiffres, ceux du symbole pythagoricien la tetraktys, figure triangulaire représentant l'harmonie de l'univers : « Les nombres ne sont pas des ustensiles de comptabilité, ils sont la source magique et la racine des choses. » Apollonios pourfend le fanatisme puritain qui fait des prêtres des eunuques, prône une juste modération qui évite « la grossièreté d'une approche trop mentale de la philosophie »... Le prophète itinérant conseille les différents princes qu'il croise sur sa route le menant aux confins du monde hellénique. Mais à Taxila (actuel Pakistan), puis à Mathurā en Inde, c'est tour à tour dame Namdā et le gourou Pañcaśikha qui indiquent à Apollonios la voie de la prajñāparamitā, « la perfection de la sagesse ». Fort de cette connaissance du vide et de la réalisation du rêve cosmique, Apollonios s'en retourne en Grèce, à Éphèse, où s'achève son séjour parmi les hommes... Plus encore que dans Le clan Spinoza (Flammarion, 2017), où il exposait la pensée du philosophe du conatus en faisant revivre l'Amsterdam du XVIIe siècle, Maxime Rovere réussit ici un tour de force en nous faisant réfléchir à travers le constant dialogue entre Apollonios et Damis tout en nous transportant grâce aux péripéties du romanesque.

Maxime Rovere
Le livre de l'amour infini. Vie d'Apollonios, homme et dieu
Flammarion
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 521 p.
ISBN: 9782081459878

Les dernières
actualités