Un jour ensoleillé, dans une chambre de l'hôpital Ichilov de Tel-Aviv, un des plus grands romanciers israéliens actuels, Yoram Kaniuk, est mort. Enfin presque, plus mort que vif en tout cas, plongé des semaines durant dans le coma à la suite d'une funeste opération d'extraction d'une tumeur cancéreuse. De ce voyage au bout de l'enfer, de cette divagation d'une âme en peine, de ce retour à la vie qui n'en est pas vraiment un, Kaniuk rapporte aujourd'hui ce A la vie, à la mort, récit rêveur, rageur, terrible.
A l'image de son auteur. Yoram Kaniuk est le vieil enfant terrible des lettres israéliennes. Il fait de nouveau l'actualité ces jours-ci, ayant obtenu à l'âge de 81 ans qu'un tribunal de son pays fasse droit à sa demande de substitution sur son passeport de la mention "sans religion" à la place de celle de "religion juive", décision de justice historique appelée à faire jurisprudence. Il s'est également vu décerner en début d'année le prix Sapir, sorte de Man Booker Prize israélien, qui offre à son récipiendaire, outre 30 000 euros, le droit de choisir la langue dans laquelle il souhaite être traduit. Yoram Kaniuk a choisi l'arabe...
On retrouve ce vieux sabra indiscipliné et bourré de talent entre les pages d'A la vie, à la mort. Une fois de plus, une fois encore, Kaniuk y rue dans les brancards de la bienséance, fût-elle littéraire. Le livre se déploie en deux temps, orchestrés de son lit de douleur. Il y aura d'abord le séjour à l'hôpital, cette longue nuit des morts-vivants, ses compagnonnages macabres, ses angoisses, l'humiliation de l'homme dès lors qu'il ne s'appartient plus tout à fait. Il y aura aussi, puisque, après tout, le "near death experience" est pour tout Israélien un mode de vie quotidien, la remontée plus ou moins bienvenue des souvenirs, des jours de lumière et de guerre, des voix enfuies, des villes aimées, des visages dissipés. Et au coeur de ce désastre, la figure de la femme de l'auteur, une Américaine chrétienne, figée dans son amour, et à laquelle Kaniuk consacre des pages bouleversantes.
