Pas besoin de faire des cachotteries : on connaît Julia Deck. Pour nous, collaborateurs de Livres Hebdo, c'est simplement Julia, la pigiste >franche et pince-sans-rire, qui met en page nos articles et avec qui on peut parler livres, librement. Julia, ses goûts assurés, son ironie, sa nonchalance... On connaît donc Julia, secrétaire de rédaction, mais Julia Deck, romancière, on l'a découverte il y a quelques semaines à peine, surprise d'abord, puis admirative après avoir lu son premier roman, sous la couverture enviée des éditions de Minuit, où elle figure cette rentrée en très bonne compagnie auprès d'auteurs maison qu'on ne présente plus.

Mené en souplesse mais d'une plume sûre, originale, Viviane Elisabeth Fauville, est - on le soutient sans crainte d'être taxée de copinage connivent - un roman drôlement réussi. Dans un Paris pointilleusement décrit, il piste une femme bien intégrée, mère d'un bébé de quelques mois, fraîchement quittée par son mari, qui tue son psy et attend qu'on vienne lui demander des comptes. Une très vieille idée - comment vit-on avec le poids d'un crime impuni ? - que l'auteure a reprise et (beaucoup) retravaillée jusqu'à bâtir une épatante intrigue. Le choix du métier de la victime ? "Il m'a paru une évidence », dit-elle.

C'est Irène Lindon, directrice des éditions de Minuit, qui a trouvé le titre. "La première qui a vraiment lu." Et la seule d'ailleurs à qui Julia ait envoyé le manuscrit. Bonne fée exigeante, l'éditrice s'est penchée sur le berceau de ce texte qui n'était pas le premier, son auteure ayant déjà commis un roman il y a trois ans, envoyé à trois éditeurs, refusé par lettre type et remisé (définitivement, assure-t-elle) dans un tiroir. Entre-temps, notre Julia a gagné sa vie de plein de manières, toutes plus ou moins directement liées aux livres et à la littérature, dans la continuité de ses études de lettres modernes à la Sorbonne, assorties d'une spécialité édition. Ainsi fut-elle successivement lectrice de littérature étrangère à New York et à Paris, dans la communication d'entreprise sur le Web pendant six ans ("Horrible, j'étais tellement frustrée") puis, après une formation dans une école de journalisme, pigiste pour différents supports, une activité dont la souplesse a l'avantage de garantir un bien primordial pour elle : du temps pour écrire. Du temps en l'occurrence pour "essayer plein de trucs", dont faire un plan qui ne marchait pas. Pour arpenter son Paris natal en piétonne, dans tous les sens, vérifiant les noms de rue, les itinéraires de métro, repérant des façades d'immeubles, pour, deux ans >et plusieurs versions plus tard, parvenir à animer avec un ton juste ce personnage qui traverse une grave crise d'identité, et prend l'eau peu à peu. A se mettre dans la tête d'une femme dont la personnalité se fissure et se disloque sans bruit. La romancière précise qu'un passage en fac de psycho, il y a quelques années, l'a un peu aidée dans la description de certains symptômes. De fait, le décalage progressif avec la réalité, cette suite de comportements jamais franchement délirants mais légèrement vrillés, est très finement observé. Plus que l'illogique de la folie, c'est bien sa logique que Julia D. reconstruit, sa cohérence interne.

Fille unique

Au-delà de ce portrait de femme en morceaux, le roman a été également l'occasion de creuser le thème des relations mère-fille et, plus sous-jacente, plus personnelle pour Julia, fille unique née d'une mère anglaise, traductrice et grande lectrice, et d'un père français, plasticien, la question de la langue maternelle. "Quelle est ta langue maternelle quand tu te retrouves à maîtriser ta deuxième langue mieux que la première ?"

En plaisantant, Julia dit qu'elle trouve très complexant ces auteurs qui affirment en interview que leur éditeur n'a pas touché une ligne à leur texte. Elle n'a pas de gêne à avouer qu'elle doit beaucoup à la lecture précise et sans concession d'Irène Lindon, une "interlocutrice irremplaçable". "Elle m'a dit ce qui ne fonctionnait pas, mais pas ce qu'il fallait faire." Exactement ce que l'apprentie romancière avait besoin d'entendre. Aussi, après leur première rencontre, Julia a repris sa copie. Tenant compte de certaines critiques, laissant d'autres de côté, elle a simplifié, fait quelques changements de structure. Elle a enlevé du "gras" et supprimé "des choses que je croyais littéraires et qui étaient juste lourdingues".

A la suite des premiers refus, elle se souvient avoir pensé : "Si la prochaine fois, ça ne marche pas, j'arrête. Je n'avais pas envie d'empiler les manuscrits non publiés." Elle a bien fait de persévérer.

Viviane Elisabeth Fauville, Julia Deck, Minuit, 13,50 euros, ISBN : 978-2-7073-2240-1, sortie le 6 septembre.

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