« C'est le livre le plus attendu de 2022 en Italie ! », s'exclame Elisabetta Sgarbi. Pour le prochain Houellebecq, l'éditrice italienne, qui a publié pendant quinze ans l'auteur français chez Bompiani avant de l'embarquer dans l'aventure La Nave di Teseo, la maison qu'elle a créée en 2015 avec Umberto Eco, s'est alignée sur la parution hexagonale : de Rome à Milan, 50 000 exemplaires d'Annientare seront disponibles en librairie dès le 7 janvier. Quatre jours plus tard, l'éditeur allemand DuMont Buchverlag lance dans le commerce 130 000 exemplaires de Vernichten « relié avec soin » comportant « couverture rigide et signet » « C'est ce qui se passe à chaque fois, l'Italie et l'Allemagne sont de grands fans de Michel Houellebecq », observe Florence Giry, directrice des droits étrangers de Flammarion, notant que la Grèce, qui publiera elle aussi Εκμηδ?νιση, la traduction le 11 janvier (éditions Hestia), dégaine un peu plus tôt que d'habitude. Avec 18 cessions à la mi-décembre et deux autres en cours de négociation, le 8e roman du Goncourt 2010 suit tranquillement son bonhomme de chemin, et devrait atteindre sans peine son niveau standard de traductions, une quarantaine de langues, selon Flammarion. En Espagne, où Serotonina s'était placé dans le top des ventes dès sa sortie, c'est encore Anagrama qui éditera l'ouvrage le 31 août 2022, et aux États-Unis, celui que le New York Times qualifiait en 2015 de « casually provocative » (« nonchalamment provocateur »), devrait arriver en rayon à l'automne, toujours édité par Farrar, Straus and Giroux.
Excitation et anxiété
Quel accueil le public américain de 2022 réservera-t-il à un auteur dont le rapport à l'islam ou les scènes de sexe misogynes créent régulièrement la polémique ? Suivi de près par la presse mais connu principalement des sphères intellectuelles, Houellebecq représentait jusqu'ici la quintessence de l'auteur français, avec ses personnages « déprimés fumant clope sur clope », estime Louis Betty, professeur de littérature française à l'université du Wisconsin et auteur d'un essai sur la religion dans l'œuvre de l'écrivain. Mais « dans l'actuel climat de wokisme, Houellebecq fait peur à la critique anglo-saxonne. On est obligé de passer tant de temps à condamner sa démesure qu'on finit par ne rien transmettre au lecteur concernant le fond de l'œuvre. C'est ce qui s'est passé, sauf exceptions, avec Sérotonine. Je vois peu de raisons d'être plus optimiste cette fois », déplore l'enseignant, pointant aussi le « puritanisme post-protestant » de la critique, et le choc que peut constituer le sexe « souvent moche, maladroit, désespéré » pour un certain type de lecteur américain.
En Allemagne en revanche, pays de très loin le plus Houellebecqophile derrière la France, où Soumission s'était écoulé à 500 000 exemplaires en 2015, « il est extrêmement admiré et respecté », note l'agent Michael Gaeb, guère inquiet en ce qui concerne la réception du nouvel ouvrage. « Il a à la fois le soutien des médias, des libraires, des lecteurs et il me semble que le débat est au-dessus des simples controverses. »
Chez nos voisins transalpins, où des auteurs comme Guillaume Musso, Pierre Lemaitre et Valérie Perrin ont actuellement le vent en poupe, la parution d'anéantir ne passera pas inaperçue. Selon le critique littéraire Antonio d'Orrico, « les Italiens aiment son non-conformisme, son extrémisme. Son nouveau livre est donc attendu avec curiosité, et un peu d'anxiété, car on ne sait jamais de quoi il sera capable, ce qu'il dira de terrible sur la façon de vivre et de penser occidentale. » Pour celui qui a longtemps écrit dans les pages livres du Corriere della Sera, ce succès en Italie s'explique aussi par la filiation naturelle entre le Français à la parka et un auteur cher à ses compatriotes : « Houellebecq a quelque chose de Pier Paolo Pasolini : le courage de dire ce que personne ne veut dire, ou entendre. »