Elles ont fière allure à bord de leur triporteur chargé de livres (immortalisé ici par notre consœur du Petit journal). A Milan, Aurélie Bazex et Caroline Zanon ont donné le premier coup de pédale, ce 26 novembre, à la librairie jeunesse William Crocodile. A l'instar de Rome, Florence ou Turin, la cité lombarde retrouve ainsi une librairie française alors qu'elle en était privée depuis 2009, année qui marqua le clap de fin pour la Libreria francese-Ile de France en raison de loyers trop élevés.
Expertes en e-commerce et en livres anciens
"Nous avons lancé notre site internet et nous attendons maintenant une autorisation de la mairie de Milan pour faire du commerce itinérant. Tout est plus lent à cause de la Covid mais on espère que ce sera bon avant Noël", explique Aurélie Bazex qui a travaillé dans l'e-commerce en France puis en Italie.
Dans leur caisse floquée au nom de la librairie – qui fut aussi l'un des très nombreux pseudonymes de Stendhal, Milanais de cœur – on trouve des ouvrages pour les tout-petits comme pour les jeunes adultes, mais toujours d'occasion. "La seule chose qui manquait vraiment à la communauté française de Milan, c'étaient les livres à des prix accessibles, et au-delà, le contact avec un libraire", poursuit Aurélie Bazex, sensibilisée à l'économie circulaire depuis sa dernière expérience chez Aramadio verde, une startup spécialisée dans la mode de seconde main.
Cet univers est également familier à Caroline Zanon qui a travaillé 12 ans dans la librairie de livres anciens Alain Brieux. "J'ai quitté cette librairie à Paris pour suivre mon mari ici. J'avais ce projet dans un coin de ma tête et j'ai rencontré la bonne personne", retrace-t-elle.
Un triporteur sur-mesure
Ensemble, elles créent en octobre 2021 l'Association pour la Lecture en Français à l'Etranger, dont le but est de "promouvoir la lecture en français auprès des enfants et des adolescents francophones hors de France". Si la librairie est le premier projet, d'autres sont également dans les cartons comme des ateliers de lecture, des animations sur le papier, des moments de réflexion avec les parents, par exemple autour du bilinguisme. "Nous avons aussi créé l'association parce que c'était un moyen plus léger de lancer la librairie", explique Aurélie Bazex.
C'est encore la légèreté qui prévaut pour le commerce en lui-même. "Au départ, nous avions imaginé avoir un local mais la pandémie nous a rendues plus timides", souligne-t-elle. Pas question toutefois de renoncer à la rencontre avec les lectrices et les lecteurs. Un fabricant italien de triporteurs conçoit un modèle unique qui peut contenir jusqu'à 400 livres. "On ne peut évidemment pas transporter tous nos titres, nous y placerons nos coups de coeur et des sélections", précise Caroline Zanon à l'heure où les premières livraisons en ville ont révélé le potentiel séduction de cet équipement écologique et ludique.
Dépoussiérer le modèle de l'occasion
Dans la cité lombarde, qui accueille environ 20 000 Français, elles se déplaceront notamment devant le lycée français Stendhal (où elles se sont rencontrées) et l’association Flam qui propose des cours de français. Elles envisagent par ailleurs d'autres points de passage comme l'école canadienne, l'Institut français qui les a contactées pour des événements, et pourquoi pas des parcs et des lieux proches du centre-ville.
"En juin, pour récolter des livres, nous avons lancé un appel à la communauté française de Milan : une partie nous les a donnés, une autre nous les a confiés en dépôt-vente", détaille Aurélie Bazex. Au total, elles rassemblent 3 500 livres, stockés chez elles quand ils ne sont pas dans leur vélo-librairie. Et la collecte reste ouverte.
"Au-delà de faciliter l'accès au livre, l'objectif du projet est aussi de dépoussiérer ce modèle de l'occasion. On veut montrer que le livre de seconde main n'est pas forcément abîmé, il a simplement déjà eu une vie", plaide Caroline Zanon. La plupart des ouvrages sont d'ailleurs en excellent état et proposés à des prix allant de -20% à -60% par rapport au prix éditeur neuf.
Le fonds se distingue enfin par sa grande variété avec des best-sellers comme la bande-dessinée Mortelle Adèle, mais aussi "de jolies petites raretés qui ne sont plus éditées et qui mériteraient d'être lues" comme Noël père et fils de Pef, ou encore deux livres pop-up de Philippe Ug. De quoi séduire un large public, comme s'en réjouit Caroline Zanon : "On a déjà des lecteurs qui ont une trentaine d'années !"