Peindre, un destin. « Écrire, peindre, nager. Lire aussi. » Le programme d'une existence. C'est en tout cas celui de Miquel Barceló, celui qu'il a confié à ses carnets écrits en français. Dans cette collection « Traits et portraits » qui, outre de nombreux écrivains, a accueilli depuis 2004 Pierre Alechinsky et Jan Voss, l'artiste catalan affilié au néo-expressionnisme se livre avec sincérité. Il fait visiter ses ateliers comme il ouvre les portes de sa vie. « Je n'ai jamais travaillé, je me suis trompé chaque jour de ma vie avec la peinture. » Entendez, je n'ai pas la sensation de travailler, mais je creuse sans relâche dans ma perplexité pour avancer.
Il y a un côté sauvage dans son art, c'est-à-dire naturel, spontané. Barceló compose avec les éléments. Il fait corps avec eux. Il les hume, les absorbe, les transforme et les recrache en jets colorés et transgressifs. Comme l'écrivain sicilien Leonardo Sciascia qui détestait l'insularité, Barceló est un insulaire nomade. Il est né en 1957 à Felanitx, à Majorque, dans les Baléares. Chez les Barceló, on s'appelle Miquel quand on est l'aîné depuis le XIIIe siècle. Depuis que les Catalans ont intégré l'île dans le royaume d'Aragon. Un de ses ancêtres était sculpteur d'église au XVIIe siècle. Sa mère était peintre, aujourd'hui elle brode. Avec son père, ce fut plus compliqué. Longtemps ils ont été fâchés.
Cet homme de la mer découvre le désert au Mali. « Quand je suis arrivé la première fois en 1987, j'ai ressenti quelque chose de familier. » Célèbre trop jeune, il avait besoin d'un peu de vide et de solitude pour retrouver sa route. Le pays dogon fut là. Il part alors sur le fleuve Niger. À son retour, les termites ont troué ses toiles. Il fait avec et utilise les termitières pour quelques œuvres. C'est cela Barceló, la transformation du négatif en positif. Il s'adapte. On comprend l'importance des objets, dans son atelier où tout prend forme, les poteries comme les céramiques. On saisit mieux aussi les poissons de la chapelle Sant Pere de la cathédrale de Palma ou la coupole du Palais des Nations de l'ONU à Genève avec cette peinture projetée qui forme des stalactites comme dans les grottes qu'il affectionne.
« Plonger, peindre, lire. » Il n'en sort pas. Pourquoi le ferait-il ? C'est sa manière d'être. En le lisant, en regardant, on se dit que l'art n'est peut-être pas un « anti-destin » comme le pensait Malraux, mais un destin tout court qui ne s'oppose pas à la vie et qui au contraire l'accentue. Dans ces temps si maussades, voici un livre éclaircie, un livre qui ne dit rien du monde comme il ne va pas, un livre qui ne théorise pas et se contente de se saisir du soleil, de l'enfance, le pays où les cauchemars font encore rêver. Voilà pourquoi De la vida mía est un ravissement pour l'œil autant qu'un bonheur de lecture, une leçon de vie sans prétention. On comprend que Patti Smith ait pris certaines notes de ses Carnets d'Afrique pour de la poésie et en ait fait une lecture à New York. Elle avait vu juste.
De la vida mía
Mercure de France
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 35 € ; 260 p.
ISBN: 9782715262270