Réinventer l'amour : le titre sonne un peu midinette. Mais dans son nouvel essai, Mona Chollet assume totalement cette dimension, la lucidité et l'idéalisme qui cohabitent en elle, sa sentimentalité, son penchant pour l'exclusivité amoureuse et son goût des relations au long cours. Elle sait que ce sujet « la condamne à rouler lamentablement au pied du podium de la radicalité féministe ». Et le livre avance ainsi assez courageusement sur une ligne de crête étroite pour « tenter de dégager et d'analyser les grandes lois de l'amour hétérosexuel » en examinant le terreau culturel empoisonné sur lequel il pousse, avant d'explorer quelques pistes plus épanouissantes entre « le carcan bourgeois du parcours obligé et celui, tout aussi convenu, de la passion destructrice ».
Constat déprimant
Car le constat de départ est assez déprimant : l'amour hétérosexuel finit souvent mal. En cause, des attentes et un investissement inégalitaires entre les hommes et les femmes qui déséquilibrent leurs relations amoureuses. Mais nulle fatalité dans cet état qui est le résultat d'un conditionnement social, d'une éducation. Les conséquences de la domination masculine, d'un patriarcat qui impose son ordre amoureux, monopolise les représentations et les fantasmes, colonise dès l'enfance la psyché et le corps féminins. Elle interroge donc cet héritage structurel qui aliène les femmes de façon plus ou moins grave, des frustrations et malentendus aux violences conjugales. « Des partenaires qui se conforment à la lettre à leurs scripts de genre respectifs ont toutes les chances de se rendre très malheureux ».
Mona Chollet n'est pas une féministe culpabilisante. L'auteur de Beauté fatale (2012) et du long-seller Sorcières, vendu à plus de 200 000 exemplaires depuis sa sortie en 2018, n'esquive pas les paradoxes, l'ambivalence, les conflits de loyauté et les tiraillements. Elle travaille les lieux communs, les expériences les plus largement partagées dans lesquelles elle s'inclut sans donner de leçons ni prétendre avoir la solution universelle. Au risque des généralités, elle propose de sortir de l'objectivation, de la recherche de la validation du regard masculin (de ce Reflet dans un œil d'homme comme dirait Nancy Huston). De « devenir des sujets érotiques ».
Elle mêle témoignages et ressources théoriques variées - Gloria Steinem qui appelait à « érotiser l'égalité », l'afroféministe bell hooks, Camille Froidevaux-Metterie, Eva Illouz ou encore Manon Garcia (l'auteure d'On ne naît pas soumise, on le devient publie d'ailleurs en octobre un nouvel essai sur un thème proche, La conversation entre les sexes. Philosophie du consentement). La journaliste puise aussi dans la culture populaire, films, livres, chansons et séries qui reproduisent leur lot de clichés et d'injonctions. Ce qui ressort aussi, c'est que ce conditionnement pèse sur les hommes, les contraignant à sous-estimer la place de l'amour - sans doute, avance-t-elle, parce que, privilège de dominants, ils n'ont pas besoin de chercher ce dont ils ne manquent pas - et les ampute de potentialités vitales. On voit mal comment réinventer l'amour hétérosexuel pourrait se faire sans leur propre autocritique.
Mona Chollet
Réinventer l'amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles
Zones
Tirage: 60 000 ex.
Prix: 19 € ; 272 p.
ISBN: 9782355221743