Avant-critique Roman

Mordecai Richler, "Fils d'un tout petit héros" (Éditions du sous-sol)

Mordecai Richler - Photo © Suzanne Langevin

Mordecai Richler, "Fils d'un tout petit héros" (Éditions du sous-sol)

Premier grand roman de Mordecai Richler, Fils d'un tout petit héros posait dès 1955 les bases de la fiction richlerienne, entre récit de formation et de déformation.

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Par Olivier Mony
Créé le 08.11.2023 à 09h00

Le voyage de Noah. Commençons par le commencement, puisqu'en France, hélas, il n'est mystérieusement toujours pas considéré comme tel : Mordecai Richler (1931-2001) est un géant. Une sorte de génie ironique dont le rire cavalcade jusqu'à la mauvaise conscience du lecteur ; un démiurge dont le lieu d'enfance, le quartier juif de Saint-Urbain en plein cœur du Montréal le plus populaire, lui aura été un monde en soi comme le furent Yoknapatawpha pour Faulkner et Macondo pour García Márquez ; un chaînon manquant, aussi, entre Saul Bellow et Philip Roth avec quelque chose de la truculence d'un John Irving. Il suffit de lire ces inouïs chefs-d'œuvre de fausse méchanceté et de vraie mélancolie que sont Le monde de Barney ou Solomon Gursky pour s'en convaincre. Malheureusement donc, un destin éditorial un peu brouillon n'a pas permis qu'il occupe dans notre pays la place, prééminente, qui lui revient de plein droit. Du moins jusqu'à ce qu'il y a quelques années les Éditions du sous-sol entreprennent de rééditer toute son œuvre romanesque nantie de nouvelles traductions dues au talent de la regrettée Lori Saint-Martin et de Paul Gagné.

C'est ainsi que nous parvient aujourd'hui Fils d'un tout petit héros, son premier grand roman, initialement publié en 1955. C'est l'histoire de trois hommes, d'une famille, d'un quartier et des malentendus qui lient les uns aux autres et qui parfois dessinent les contours d'un destin. Dans le ghetto juif de Montréal après la guerre, il y a d'abord le patriarche, Melech Adler, raide comme la justice qu'il prétend incarner ; puis son fils Wolf, un bon à rien si ce n'est à craindre les foudres de son père ; et son petit-fils Noah, en rupture de ban familial, un rebelle pour qui la vraie vie est ailleurs, loin des interdits hypocrites de son milieu, plutôt à l'université, au volant d'un taxi dans la nuit ou mieux, dans les bras d'une femme aimée. Le monde d'hier n'est déjà plus et celui de demain tarde à apparaître comme vraiment nouveau. Chacun se réfugie dans les facilités mortifères du déni. Noah sera l'agent autant que le témoin des échecs de chacun, à commencer par le sien. Ses voyages sont circonscrits à ses pensées, ses rêves, ses désirs.

Mais outre le jeune homme, le véritable héros du roman, comme souvent chez Richler, c'est Montréal, son quartier juif, ses pensions pour crève-la-faim, ses salles de jeux, ses troquets plus ou moins clandestins, ses néons dans la nuit. Ses femmes aussi et ses mauvais garçons indécis. Un tout petit monde comme pris de folie sous la plume de son contempteur le plus féroce et drôle, le plus navré et tout de même attendri. Il s'agit là de la première manière, la plus vernaculaire, de l'art de Richler, qui culminera avec L'apprentissage de Duddy Kravitz. Mais déjà, quelle force, quel rire presque métaphysique dans ces pages ! Comme une rivière en crue sortie de son lit, l'écriture emporte tout sur son passage. Les années, les remords, les trahisons, les jolies choses. Absolument tout et ce n'est vraiment pas rien.

Mordecai Richler
Fils d'un tout petit héros
Ed. du sous-sol
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 24,90 € ; 320 p.
ISBN: 9782364686915

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