La famille d’Edouard Stern vient de saisir la justice à l’encontre du Seuil et de Régis Jauffret, respectivement éditeur et auteur, en mars dernier, de Sévère . La diffamation envers la mémoire du banquier décédé à Genève dans les conditions que l’on sait sert notamment de fondement aux poursuites. De Diana à Marylin, en passant par François Mitterrand ou Michel Foucault, tous les morts célèbres sont aujourd'hui l'objet de livres qui n'hésitent pas à aborder la sphère de la vie privée. Les proches du défunt s'en indignent de plus en plus jusque devant les tribunaux. Or, si le droit français n'accorde pas une véritable protection de la vie privée à titre posthume (les morts disposent de peu de droits, aux termes des textes de loi, tels qu’interprétés par la jurisprudence), certaines actions en justice de la part de familles indignées peuvent parfois prospérer. Par exemple, si les faits relatés, dans un roman ou une biographie, se révèlent attentatoires à «  l'honneur ou à la considération  » - ce qui est souvent le cas, par exemple, lorsque la vie sexuelle du défunt est décrite -, les héritiers peuvent toujours attaquer sur le fondement des «  diffamations ou injures dirigées contre la mémoire des morts  », prévues à l'article 34 de la classique loi du 29 juillet 1881. Mais de telles diffamations ne sont sujettes à sanction «  que dans les cas où les auteurs de ces diffamations ou injures auraient eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants.  » Il faut donc aux héritiers démontrer que les allégations problématiques ont pour but de discréditer également leur propre réputation, ce qui reste un exercice assez périlleux. La Cour de cassation a rendu une série de décisions à partir de l’an 2000 qui ont refroidi… les ardeurs des héritiers sourcilleux. Ou bien les plaignants sont visés expressément par les propos et ont tout loisir d’attaquer pour leur compte, ou bien ils veulent préserver la mémoire de papa, mais il leur faut alors prouver le rejaillissement sur leur propre personne. En effet, l’article 9 du Code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée  ». Mais la loi reste muette sur ce respect après le décès de la personne visée. Forte de ce silence, la jurisprudence considère que l'action en respect de la vie privée n'appartient qu'aux intéressés de leur vivant. De même, il existe une plus grande tolérance des tribunaux en raison d'intérêts historique, littéraire ou encore d'actualité qu'il peut y avoir à rectifier la biographie officielle d'une personnalité décédée. Le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi, le 19 mai 2000, jugé qu'une action intentée contre les éditions du Seuil – déjà ! - devait être rejetée, au motif que «  s'agissant essentiellement d'événements historiques pour lesquels les tribunaux n'ont pas mission d'arbitrer et de trancher les polémiques ou controverses qu'ils sont susceptibles de provoquer, l'historien ayant, par principe, toute liberté pour exposer, selon ses vues personnelles, les faits les actes et les attitudes des hommes (...) même si les écrits ont pu être ressentis de manière déplaisante par les requérantes, en donnant de leur père une image complexe non conforme à celles qu'elles voudraient voir transmettre.  » En revanche, le respect de la vie privée des survivants peut parfois être violé à l'occasion d'une publication visant en premier chef un mort célèbre. La Cour d'appel de Paris a, par exemple, le 24 février 1998, estimé que la publication de la photographie du cadavre d'une victime d'attentat, en l'occurrence le Préfet Erignac, portait atteinte à l'intimité de la vie privée de ses survivants. Ce point de vue est à rapprocher de celui qu'a adopté la Cour de cassation, le 20 octobre suivant, à propos des clichés du corps de François Mitterrand sur son lit de mort. Mais la Cour d'appel de Paris a   très clairement indiqué, en 1986, après le décès de Gérard Lebovici, que la publication d'une information ne peut «  être qualifiée d'atteinte à la vie privée de cette personne, dès lors qu'elle était décédée au moment de sa publication. Cet article ne constitue pas d'avantage une atteinte à la vie privée de l'épouse et de son fils puisqu'il ne fait pas état du comportement ou des habitudes de vie de ces derniers et ne mentionne que les fréquentations douteuses de ce dernier.  » Sévère sera peut-être, espérons-le, l’avis des magistrats envers la famille d’Edouard Stern, qui choisit de s’en prendre à un romancier.  
17.10 2013

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