Avant-Critique Roman

Nadia Busato, "Padania blues" (Quai Voltaire) : Une Bovary d'aujourd'hui

Nadia Busato - Photo © Ilaria Vidaletti

Nadia Busato, "Padania blues" (Quai Voltaire) : Une Bovary d'aujourd'hui

Dans ce deuxième roman traduit en français, Nadia Busato s'empare d'un fait divers pour exprimer les rêves calcinés d'une jeune femme d'aujourd'hui dans une petite ville d'Italie.

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Par Marie Fouquet
Créé le 13.06.2022 à 11h00

Barbara, dite « Barbie », est une belle jeune femme blonde au corps sublime. « J'ai un seul défaut, des seins de merde. » Petits et irrévérencieux, ils abritent un cœur fragile, à l'encontre des canons de beauté qui, dans les magazines, les montrent fiers et galbés. Installée à Ogno dans la région de Pô au nord de l'Italie, où elle est née, Barbie rêve de quitter ces terres isolées pour rejoindre la grande vie à laquelle elle se sait destinée : celle d'une star aux seins refaits, mariée à un footballeur. Mais pour le moment, elle travaille dans le salon de coiffure d'Ogno avec Maicol, son meilleur ami gay. Impossible pour elle de nouer une relation saine et tenue avec un homme hétéro ou de quitter son statut de célibataire - et non pas de « vieille fille » -, notamment parce que tout le monde sait que les hommes, qui adorent les blondes, se marient plutôt avec les brunes. Nombre de présupposés grotesques animent l'esprit de cette jeune femme vivant dans un milieu où les rapports de genre ne sont pas remis en question et où chacun est à sa manière aveuglément enfermé dans un système de domination patriarcale.

Nadia Busato s'était déjà emparée d'un fait divers dans son précédent roman, Je ne ferai une bonne épouse pour personne. Elle y restituait l'histoire d'une jeune Américaine, Evelyn McHale, qui s'était suicidée de l'Empire State Building en 1947 et avait été immortalisée par le photographe Robert Wiles quelques minutes après la chute. Dans Padania blues, Busato réinvestit majestueusement la figure de la jeune fille, anonyme parmi les anonymes, mais l'inscrit cette fois dans une petite ville d'Italie. Un personnage lui aussi issu du réel, lui aussi voué à un destin tragique, victime d'un drame qui révèle le jugement archétypal qu'on porte sur les filles de son genre : « Les filles du pays sont des filles faciles ». Son environnement ? Après avoir brutalement quitté le foyer pour rejoindre son amante ukrainienne, le père est de retour ; la mère dépressive reçoit des lettres d'amour anonymes qui ne lui sont pas destinées et plonge dans un délire amoureux en solitaire ; le meilleur ami noue une relation toxique avec le patron du salon de coiffure, bien plus âgé que lui.

« Un jour on partira », promet Barbie à Maicol. Mais dans ces villes de seconde zone, l'inertie règne et balaye souvent l'illusion des plus grands rêves. Nadia Busato, en se saisissant de ce nouveau fait divers qu'elle approche en retraçant les mois qui ont précédé le drame de Barbie, s'adresse à toutes les jeunes filles issues de ces milieux : « Si tu es partie, si tu as la chance que les choses aient bien - ou même très bien - tourné pour toi, tu pourrais revenir dire aux filles comme moi qu'une alternative existe, qu'un ailleurs meilleur nous attend. Si tu es sortie, tu ne devrais pas nous tourner le dos. Parce qu'au bout du compte, l'important n'est pas de parvenir à destination, l'important est de montrer le chemin. »

Nadia Busato
Padania blues Traduit de l'italien par Karine Degliame-O'Keeffe
Quai Voltaire
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22 € ; 278 p.
ISBN: 9791037108814

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