Nathan Devers, 23 ans, est un brillant sujet. Normalien, agrégé de philosophie, déjà auteur d'un essai remarqué, Généalogie de la religion (Cerf, 2019) et d'un premier roman, Ciel et terre (Flammarion, 2020), salué en particulier dans Le Point par un certain Bernard-Henri Lévy, lequel le publie aujourd'hui dans la collection « Figures » qu'il dirige depuis toujours chez Grasset. Parcours impeccable, tout cela est logique et cohérent. Mais le grain de sable, dans cette histoire, est le sujet de son nouvel essai, Espace fumeur : la cigarette, qui est à la fois corps du délit d'addiction, et objet d'étude et parfois de littérature (Louÿs, Svevo, Barthes ou Houellebecq sont convoqués à la barre des témoins).
Car Nathan Devers, il le confesse, fut fumeur durant une dizaine d'années, depuis un voyage d'études interreligieux à Jérusalem. Nathan avait alors douze ans et il fuma sa première clope sur le balcon de la chambre de l'auberge de jeunesse où on les avait logés, seul, face à la porte de Jaffa. Jusqu'à ce que sa prof de SVT le surprenne et lui fasse la leçon. Snob, n'est-ce pas ?
De même que la façon dont il a arrêté, il n'y a pas si longtemps : c'était à New York, avec sa copine Anaële. À peine arrivé, il voit dans le hall de leur hôtel tous ces corps de jeunes gens en parfaite santé, musclés, comme dédoublés, et se précipite à la piscine où il s'abrutit de longueurs, son propre corps se trouvant « reconfiguré », « équilibré ». Ce corps qui, jusque-là, souffrait sans le savoir.
Devers n'a plus touché une cigarette depuis. Pas envie. Et tord au passage le cou à une idée reçue, mélodramatique et largement répandue : non, fumer n'est pas une fatalité, oui, on peut s'en déprendre aisément, sans pathos, patchs et autres produits de substitution, sans s'empiffrer non plus et prendre dix kilos. Tout cela est raconté d'un ton alerte, non sans une pointe d'humour, en dépit de quelques passages où le philosophe jargonnant pointe le bout de son nez.
Pour le reste, Nathan Devers a raison : alors que le tabac en général et son histoire ont fait l'objet de nombreux livres, ce n'est pas le cas de la cigarette, en dépit de sa mythologie richissime et révélatrice. Au contraire, aujourd'hui, « on supprime la cigarette de notre passé » : récemment, des photos de Malraux, Sartre ou Camus ont été les victimes des travers de notre époque.
Espace fumeur
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 € ; 220 p.
ISBN: 9782246822448