Kerouac, Ginsberg, Burroughs. Des trois mousquetaires de la Beat generation, Neal Cassady était le quatrième. S’il n’est pas celui dont l’œuvre, parcellaire, éclatée, a laissé le plus grand souvenir, il est celui, furieusement doué pour "vivre et laisser mourir", dont la vie, traversée par l’énergie sauvage de la jeunesse, est la plus en adéquation avec les "principes" du mouvement. Cassady était irrésistible (y compris à lui-même), odieusement irrésistible et écrivain pourtant, empêché parfois, mais comme brûlé par son besoin de créer. Et s’il écrit, c’est d’abord à quelqu’un, femme en allée, camarade tombé sous le feu de la même mitraille, Ginsberg ou Kerouac donc, ou plus tard Ken Kesey. Nul doute dès lors que le premier tome de sa correspondance, joliment intitulée Un truc très beau qui contient tout (on ne saurait mieux dire) et couvrant la période 1944-1950 (un second et ultime volume est en préparation pour la période 1951-1967), est un vrai événement littéraire que l’on doit aux bons soins des éditions Finitude. Que fait Cassady durant ces années de formation autant que de déformation ? Il voyage, de Denver à San Francisco en passant par New York, il se défonce, vit de petits trafics et de boulots minables, fréquente de-ci de-là quelques établissements carcéraux, se marie avec une gosse, puis une autre (ce sera Carolyn Cassady, muse de toute une vie), couche avec des dizaines de femmes, avec quelques hommes aussi par gentillesse, assiste à une conférence de Thomas Mann sur Nietzsche. Il glande, le plus joliment du monde. Il attend, l’œuvre à venir, une révélation, n’importe quoi qui le fasse sentir vivant. Il écrit à Kerouac le 8 janvier 1948, de ses vaines tentatives : "Tout ça ne fait même pas dix pages, ça n’est pas écrit dans un style démentiel et je n’ai rien dit que tu ne saches déjà, rien dit de ce que je voulais dire, mais - putain - j’ai fait de mon mieux, j’ai dit ce que j’avais à dire et je sais que tu le sais. Ça me suffit et je ne peux pas faire mieux." Quand le ratage se marie ainsi avec la beauté, cela s’appelle la jeunesse.
Olivier Mony