Écrivain turc né à Istanbul en 1951, Nedim Gürsel a fait toute sa carrière universitaire (CNRS, Inalco) et littéraire en France. Il n'empêche qu'il est fort attaché à son pays d'origine, où il retourne fréquemment, bien que son passé d'homme de gauche (dès les années 1980, bien avant l'ère Erdogan, il a eu des ennuis avec une justice déjà aux ordres du pouvoir) doive le rendre quelque peu suspect aux yeux des actuelles autorités. Turc, Gürsel est musulman sunnite, ce qui ne l'empêche pas de connaître parfaitement cette branche minoritaire de l'islam qu'est le chiisme, une hérésie aux yeux des majoritaires − avec cette haine réciproque qui secoue le monde musulman depuis le calife Ali, gendre de Mahomet. Al-Qaïda et Daech sont des terroristes sunnites, grands massacreurs de leurs coreligionnaires, encore plus que des « mécréants » occidentaux. Des communautés chiites importantes existent en Irak, en Syrie, au Liban, soutenues par l'Iran, devenu, depuis la prise du pouvoir par l'imam Khomeiny et les mollahs, en 1979, la plus grande théocratie chiite du monde, avec tout ce qui en découle : charia, ordre moral, persécutions contre les jeunes, les opposants, les intellectuels, voire assassinats d'écrivains. Nedim Gürsel rappelle ainsi, d'après le témoignage de Shirin Ebadi, la tentative d'élimination, par le régime, de vingt écrivains en route pour un voyage en Arménie, en 1996. « Accident » de car.
Tout en ne méconnaissant pas les tares du régime iranien, et les graves tensions qui traversent ce vaste et puissant pays, l'écrivain turc s'y est rendu avec enthousiasme, juste avant le Covid, en compagnie de Tijin Burultay, responsable photo au magazine Magma, Shahzadeh Igual, romancière iranienne turcophone, et Saïd Fakri, poète et homme d'affaires, le mécène de leur expédition. Car c'en fut bien une, de Téhéran, la capitale avec ses quinze millions d'habitants, jusqu'à Yazd et Kerbela, cités perdues au milieu du désert montagneux. Kerbela, en Irak, est considérée comme une Mecque du chiisme : c'est là, en 680, que Hussein, le petit-fils de Mahomet, et sa famille, ont été massacrés par des hommes d'armes des califes omeyyades. Chaque année, l'Achoura, pèlerinage mélodramatique et sanglant, commémore ce martyre. Gürsel et ses compagnons y assistent.
Mais pour l'essentiel, c'est à une pérégrination littéraire, poétique, patrimoniale, que Nedim Gürsel nous convie, servie par une érudition sans faille. Il passe sa vie dans les cimetières, sur les mausolées, les tombeaux des grands poètes de l'ancienne Perse : Umar Khayy?m et Farid al-Din Attar à Nichapour, Firdoussi à Tus, Hafiz et Saadi à Chiraz... Il médite sur les grandeurs passées à Persépolis, la cité de Darius Ier, et à Pasargardes, celle de Cyrus II le Grand. Et, à Ispahan, il consacre un magnifique chapitre au Loti de Vers Ispahan (1904), l'un de ses chefs-d'œuvre. Gürsel, à sa façon, perpétue cette tradition de l'écrivain voyageur, comme Nicolas Bouvier, qu'il cite également souvent. C'est à la fois très actuel et hors du temps. Un petit bijou.
Voyage en Iran. En attendant l'imam caché Traduit du turc par Pierre Pandelé
Actes Sud
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 € ; 176 p.
ISBN: 9782330161316