« L'odorat, de tous les sens, est le plus dangereux, et celui qui pousse à la connaissance du monde », enseigna jadis à Gaston-Paul Effa un vieil aveugle camerounais, qui guérissait les gens grâce à son flair. C'était son grand-père. Quant à la grand-mère d'Isabelle Laurent, une rude paysanne vosgienne, il semble qu'elle sentait fort le fumier, et sa petite-fille adorait ça. A son enterrement, le curé a affirmé qu'elle était morte « en odeur de sainteté ». Les mots ne mentent pas.
Ces deux-là, le Camerounais exilé en Alsace et la Lorraine fille d'une institutrice et d'un « homme des forêts » qui embaumait la sève et le tabac de pipe, avaient tout pour se rencontrer, en réel ou dans un livre. C'est chose faite, avec Les parfums élémentaires, qui se présente comme un échange croisé de lettres jamais envoyées, tout du moins par deux fois, lorsque Isabelle Laurent donne le ton, comme pour un cadavre exquis olfactif. Et, puisque le livre paraît dans la collection « Haute enfance », dirigée par Colline Faure-Poirée et qui compte tant de beaux titres, chacun des auteurs va raconter la sienne, d'enfance, centrée sur des sujets communs : l'odorat, le rapport aux parfums, à la gourmandise, mais aussi des choses plus crues, comme les senteurs corporelles.
Ainsi Gaston-Paul Effa évoque-t-il l'odeur de cette « négresse », qui l'a un jour embrassé, petit garçon, moment de sensualité qui l'a marqué à jamais et qu'il essaiera de retrouver, plus tard, chez les prostituées de Strasbourg, dont une Anglaise rousse qui l'affolait. Isabelle Laurent, elle, qui raffole des odeurs du corps des autres, a fini par perdre un moment l'odorat. Ça s'appelle l'anosmie et c'est très handicapant, par crainte de « sentir mauvais » elle-même. Là encore, les mots ne mentent pas. Mais ce qui « sent bon » pour les uns en incommode d'autres.
C'est l'un des thèmes principaux de ce livre inventif, avec la spiritualité, les deux auteurs étant catholiques, croyants, pratiquants et grands amateurs d'encens. La foi d'Isabelle, parfois, se teinte de bouddhisme.
Quelquefois, aussi, on ne sait plus qui a écrit quel chapitre, tant les deux se répondent en harmonie, tête à tête, côte à côte, nez à nez, à la recherche du printemps perdu.
Les parfums élémentaires
Gallimard, « Haute enfance »
Tirage: 3 000 EX.
Prix: 18,50 euros ; 192 P.
ISBN: 9782072833977