Avant-critique Roman graphique

Nicolas Badout, d'après Henri-Georges Clouzot et José-André Lacour, "L'enfer" (Sarbacane)

L'enfer, P. 162/163 - Photo © Nicolas Badout/Sarbacane

Nicolas Badout, d'après Henri-Georges Clouzot et José-André Lacour, "L'enfer" (Sarbacane)

Pour son premier album, Nicolas Badout s'empare du scénario original de L'enfer, le sulfureux film inachevé d'Henri-Georges Clouzot.

Parution 5 mars

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Par Benjamin Roure
Créé le 05.03.2025 à 09h00

Dans l'œil de Clouzot. Début des années 1960. Marcel et Odette, jeune couple fringant, s'installent au pied du viaduc de Garabit dans le Cantal, pour gérer un hôtel au bord du lac. Ils sont beaux, heureux, bientôt parents et les affaires sont florissantes. Mais rapidement, Marcel change. Inquiet de la concurrence, usé par le bruit du train et de son marmot, il ne dort plus. Il boit, abuse des somnifères. C'est alors que naissent les hallucinations, cette petite voix qui lui susurre que sa femme lui ment, le trompe, se moque de lui. Marcel perd pied, devient violent, et Odette est prise au piège...

Projet mythique et maudit du cinéma français, par son budget annoncé illimité, son casting de rêve - Romy Schneider, Serge Reggiani - et son tournage interrompu plusieurs fois avant la mort de son réalisateur, L'enfer d'Henri- Georges Clouzot (1964) a fait l'objet d'une adaptation par Claude Chabrol en 1994, et surtout d'un documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea en 2009, qui en révéla les images et les secrets. Pour son premier album de bande dessinée, Nicolas Badout s'en inspire et va plus loin, en s'appuyant sur le scénario original du cinéaste ainsi que sur ses rushes et notes. De ses recherches poussées, il tire un livre qu'on imagine fidèle aux intentions d'origine : un thriller psychologique intense, en même temps qu'une œuvre plastique fascinante.

En effet, si l'auteur reprend les cadrages des plans du film, il use d'un noir profond et de trames complexes pour en faire une bande dessinée éminemment contemporaine - et l'actualité du thème des violences conjugales appuie en ce sens. Son trait n'est pas conventionnel, assumant une certaine déformation des corps et des visages, quand ses décors sont plus réalistes et ses hachures franchement expressionnistes. De plus, Nicolas Badout reprend de Clouzot l'idée audacieuse de la couleur jaillissant au sein du noir et blanc, pour figurer les délires de Marcel, avec ce lac rouge sang ou ces images lascives aux teintes vertes, magenta ou bleutées. Dès lors, plus qu'un exercice de style, c'est une terrible descente aux enfers d'un mari malade et jaloux qu'il compose ici, dans une mise en images grandiose et hypnotique. Le film restera inachevé, mais la BD est tout à fait aboutie.

Nicolas Badout
L'enfer
Sarbacane
Adapté du film inachevé d'Henri-Georges Clouzot ; adaptation, dialogues Henri-Georges Clouzot et José-André Lacour
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 26 € ; 176 p.
ISBN: 9791040804451

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