Les rues pavées, le tram qui serpente, la mer en arrière-plan. Une lumière unique, une chaleur enveloppante. Et au loin, une mélodie entêtante, qui vibre d'émotions. Du fado, forcément. Mais sous le vernis de la carte postale, la Lisbonne de 1968 étouffe sous la dictature sans fin de Salazar. Fernando semble en avoir pris son parti : ce quadragénaire médecin soigne les bourgeoises comme les tortionnaires, dont son propre frère, membre de la police politique. Tandis que le souvenir de sa jeunesse militante, quand il bravait l'interdit par conviction autant que par amour pour la belle Marisa, ne cesse de le hanter.
On connaissait Nicolas Barral dessinateur parodiste (Baker Street et Les aventures de Philip et Francis, avec Pierre Veys), scénariste jeunesse sur Mon pépé est un fantôme, binôme efficace de Tonino Benacquista (Dieu n'a pas réponse à tout, Les cobayes) ou repreneur de l'univers de Tardi développé autour de Nestor Burma. Le voilà qui se lance, enfin, dans un long projet en solo, sur le pays de son épouse, le Portugal. Et plus précisément sur le régime de Salazar, déjà sujet du roman d'Antonio Tabucchi Pereira prétend (adapté en BD par Pierre-Henry Gomont en 2016, chez Sarbacane), dont l'antihéros le fascinait. Inspiré, Nicolas Barral construit une fiction historique interrogeant les motivations de la résistance et les raisons de la résignation. « Mon hypothèse est que le consentement est dans la nature des Portugais, glisse un révolutionnaire de l'ombre. N'ayant jamais connu que la dictature, nous avons appris à nous contenter du bonheur que Salazar nous octroie... »
Une théorie qui s'incarne dans la figure de Fernando, médecin bienveillant, qui n'aime pas le régime mais compose avec, protégé malgré lui par son flic de frangin. Et qui se laisse porter par une vie confortable pour ne pas rouvrir de vieilles blessures. Par une construction en flash-back assez hollywoodienne, qui n'élude pas la violence mais ne se prive pas non plus d'un happy end, Nicolas Barral et son trait chaleureux emportent le lecteur dans cette histoire dense, qui raconte par petites touches l'émergence de la contestation et la fuite des élites, prémices de la révolution des Œillets de 1974. Un roman graphique doux-amer, accessible et attachant. Comme un air de fado.
Sur un air de Fado
Dargaud
Tirage: 13 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 160 p.
ISBN: 9782205079593