Depuis Mac-Mahon, après la chute du second Empire, la République n’octroie plus d’anoblissement. Réduite à une survivance, la noblesse ne forme plus en France qu’un corps d’héritiers. Qu’est-ce qui caractérise ces 100 000 individus (0,2 % de la population) répartis dans quelque 3 000 familles ? La réponse se trouve dans l’enquête fouillée d’Eric Mension-Rigau. Depuis vingt-cinq ans, ce professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne s’est fait le guide de cette aristocratie post-révolutionnaire à laquelle il consacre l’essentiel de ses recherches.
Si les codes ont finalement peu changé, les pratiques ont évolué par nécessité. Avec les châteaux qui se transforment en hôtels ou en restaurants, la particule est devenue alimentaire. C’est souvent la seule façon pour ces aristocrates de conserver leur patrimoine. Conserver semble d’ailleurs être le mot clé de cette catégorie sociale sans statut officiel. La noblesse française est un lieu de conservation comme il y a des lieux de mémoire. On y préserve l’histoire familiale, la tradition, les bonnes manières, le goût de l’élite plus que celui de l’argent, et le service de l’Etat dans la politique ou l’administration. On privilégie l’école des Chartes à Normale sup et on se méfie des néochâtelains branchés qui ont la propriété, mais pas l’héritage.
"Il n’y a pas de milieu qui émette et concentre autant de signes, dans des espaces aussi réduits, à une vitesse aussi grande." Gilles Deleuze parlait de la société mondaine chez Proust, mais on pourrait en dire autant de cette Singulière noblesse. Eric Mension-Rigau en explique les subtiles mutations dans une société qui cultive l’aspiration égalitaire tout en restant fascinée par ces grandes familles. Laurent Lemire