6 janvier > Essai France

Pierre Soulages, l’artiste de "l’outre-noir", l’a dit : "Le noir est antérieur à la lumière." Il fallait donc bien un philosophe pour nous éclairer sur le sujet. Dans la collection "Les grands mots", Alain Badiou, dont le nom est politiquement plus souvent accolé au rouge, aborde le noir sans pincettes. Il s’en explique, et c’est sans doute une des raisons qui lui a fait choisir cette "non-couleur" plutôt qu’une autre trop explicite. Car du noir, que dire ? Par petites touches, dans des chapitres brefs, le philosophe médiatisé depuis son De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Nouvelles éditions Lignes, 2007) - Sarkozy qu’il requalifie au passage de "petit bonhomme inculte" - évoque avec tendresse l’enfance, l’encre des pupitres, le tableau, mais aussi la peur de l’obscurité ou la sexualité féminine que Freud qualifiait de "continent noir".

Mais Badiou convoque aussi le noir rassurant. Son approche consiste donc autant à penser le noir qu’à le panser, à le dégager de son image uniforme et désespérée. La couleur du deuil en Occident est aussi celle des branchés avant d’avoir été celle du pouvoir religieux, juridique et politique. "Le noir est négation passive, il ne fait que signaler l’absence de son antipode : la lumière." Impossible en effet de le dissocier de son compère le blanc. D’ailleurs, pour les écrivains qui ne veulent pas être accusés de noircir du papier, l’angoisse, c’est bien la page blanche.

"Noir c’est noir", chantait Johnny, mais pas que, rétorque Badiou. Avec un subtil mélange de savoir et d’humour, il analyse les expressions, examine le drapeau noir, le compagnonnage du noir avec le rouge chez Stendhal, le groupe de rock de Bertrand Cantat, Noir Désir, l’humour noir cher à Breton, les trous noirs dans l’univers et bien sûr les Noirs. L’ex-professeur à l’Ecole normale supérieure, qui publie également le 25 janvier chez Fayard La vraie vie sous-titré Appel à la corruption de la jeunesse, demande donc l’acquittement dans ce procès du noir. Pour ce plaidoyer, on reprendra l’appréciation de son professeur de dessin : "Badiou : des lueurs dans le noir." L. L.

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