James Daunt - J’ai commencé par une tâche pour le moins désagréable : réduire les coûts. Dans une situation désespérée, nous avons fait partir la moitié des responsables de magasins et un tiers des vendeurs. Pour améliorer notre efficacité, nous avons ensuite mis fin à la méthode d’achat de livres traditionnelle. Comme dans toutes les grandes chaînes du monde entier, les éditeurs payaient pour donner à leurs livres une bonne visibilité dans les librairies et pour les intégrer au classement des libraires exposé dans les magasins. Contrairement aux idées reçues, ces classements ne reflètent pas les ventes réalisées mais les ambitions des éditeurs. Nous avons arrêté tout cela et nous leur avons dit : "Nous ne prendrons désormais que ce que nous aimons et dans les quantités que nous décidons." Les éditeurs nous ont pris pour des fous car l’ancienne méthode nous permettait d’engranger des revenus importants. Heureusement, le patron de Penguin nous a suivis. Tout le monde a alors fait de même.
Cette décision a réglé du jour au lendemain la question des invendus. Alors qu’ils pesaient 20 % à 25 % de notre stock, ils n’en représentent plus aujourd’hui que 3 % à 4 %. Cela a donc réduit nos coûts, amélioré nos marges et vidé nos magasins de livres indésirables. Le personnel s’est trouvé débarrassé d’une tâche très prenante. Nous avons pu poursuivre notre transformation, qui devait passer par la fin du modèle de magasin unique. Nos trois cents magasins proposaient en effet une offre rigoureusement identique.
Donner la possibilité aux responsables de nos magasins de faire la promotion des livres qu’ils veulent rend les magasins plus intéressants et plus adaptés à leurs clients. Ce qui marche à Londres ne fonctionne pas forcément dans le nord du pays et vice-versa. Nous avons donc centralisé les commandes, mais en disant aux magasins : "Vous gérez vos propres devantures, votre propre promotion. Si vous voulez commander plus que prévu tel ou tel livre, pas de souci, mais vous êtes désormais responsables de votre stock et de vos choix, ce qui n’était pas le cas avant."
Nous sommes devenus de meilleurs vendeurs. Nous avons acquis la mentalité des libraires indépendants. Lorsque l’on vend ce que l’on aime, on vend toujours mieux. Nous sommes ainsi devenus capables de transformer les très bons livres en best-sellers. En revanche, les livres moyens tournent beaucoup moins bien. Cela nous a aussi permis de miser sur des livres bien plus décalés, qui n’auraient auparavant jamais décollé. Les politiques de prix également ne sont plus unifiées : nous proposons rarement des remises dans les magasins du centre de Londres, alors qu’il y a quasi constamment 20 % de réduction dans les magasins du nord du pays. Nos magasins tournent bien mieux et ils rentrent beaucoup plus d’argent. Forts de ce succès, nous avons ouvert une douzaine de nouveaux magasins, bien souvent à l’emplacement d’anciennes librairies indépendantes. d T. de B.