Bilan

Nouveautés 2014 : pourquoi la production ne baisse-t-elle pas ?

Olivier Dion

Nouveautés 2014 : pourquoi la production ne baisse-t-elle pas ?

Enjeux de visibilité, nouveaux terrains éditoriaux à explorer, baisse des coûts de production et essor du e-commerce ont contribué à augmenter le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions commercialisées en 2014.

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Par Cécile Charonnat, Fabrice Piault
Créé le 13.02.2015 à 15h00

A considérer froidement les données, le mouvement est plus que paradoxal. Alors que le marché a enregistré en 2014 une cinquième année de contraction, à - 0,5 %, l’offre de livres en France n’a cessé de s’étoffer, affichant sur cinq ans une progression de 7,1 %. Si ce chiffre traduit un ralentissement au regard des 19 % engrangés entre 2005 et 2009, 68 187 nouveautés et nouvelles éditions ont encore tenté, en 2014, de se frayer un chemin vers les tables des librairies, soit une augmentation de 2,5 % par rapport à 2013.

"Une réaction instinctive"

"Historiquement, le livre a toujours été un secteur où la baisse de la demande se traduit par une augmentation de l’offre, rappelle Claude de Saint Vincent, directeur général de Média-Participations. C’est comme s’il s’agissait d’une réaction instinctive des éditeurs, qui s’imaginent toujours qu’en commercialisant plus de titres, ils vendront plus." Le raisonnement s’appuie notamment sur la notion de visibilité en point de vente, devenue cruciale au fil du temps. "Produire plus peut être un moyen de répondre à cet enjeu de visibilité", souligne Marie-Christine Conchon, P-DG d’Univers Poche, qui pointe également le poids des engagements vis-à-vis des auteurs. "Arbitrer entre les auteurs que l’on veut conserver, la multiplication du nombre de manuscrits reçus et une production stable ou resserrée se révèle très délicat", confirme Philippe Héraclès, le P-DG du Cherche Midi. D’autant que certains projets, notamment en jeunesse, en bande dessinée ou dans le domaine des livres illustrés, se construisent sur dix-huit mois, voire plus. "Dès lors, il n’est pas facile d’arrêter la machine rapidement", reconnaît Patrice Evenor, directeur de la diffusion chez Volumen.

Habituellement avancée, la multiplication des toutes petites maisons d’édition reste aux yeux d’Olivier Fornaro, directeur général d’Interforum diffusion, un facteur majeur expliquant la hausse de la production, même si l’on constate une légère diminution du nombre d’éditeurs ayant publié au moins un titre en 2014 (voir p. 28). "L’essor du e-commerce et la bonne dynamique des librairies augmentent leur assiette de diffusion et contribuent tout au moins à leur pérennisation", assure Olivier Fornaro. Si l’on y ajoute la baisse des coûts de production, qui permet d’atteindre, pour un roman, le point mort autour de 2 000 à 2 500 exemplaires, "la tentation de publier reste forte", observe Claude de Saint Vincent.

L’autre tentative d’explication est à chercher du côté de la segmentation. "La jeunesse est un secteur en pleine explosion et apporte son lot, intense, de créations et de découvertes", fait valoir Anne Chamaillard, directrice de la communication pour Place des éditeurs. "Et l’on ne peut négliger le poids des nouveaux terrains éditoriaux, comme le coloriage pour adultes, qui a généré beaucoup de nouveautés en pratique", complète Olivier Fornaro. Sans oublier, pour Marie-Christine Conchon, le "cœur du métier d’éditeur : publier de nouvelles voix et faire émerger de nouvelles idées, qui auraient toutefois, admet-elle, de plus grandes chances dans un environnement moins surchargé".

La production par secteurs en 2014 : 187 nouveautés par jour

68 187 titres publiés

Photo SOURCE LIVRES HEBDO/ELECTRE

La production en titres a progressé de 2,5 % en 2014, à 68 187 nouveautés et nouvelles éditions, d’après nos données Livres Hebdo/Electre. Cette hausse, plus forte qu’en 2013 (+ 1,7 %), a d’abord été portée par les secteurs de la psychologie populaire (+ 15 %), des religions (+ 10 %), du droit (+ 9 %), des langues étrangères (+ 14 %), des arts graphiques et du dessin (+ 30 %), de l’audiovisuel (+ 12 %), des activités et jeux pour la jeunesse (+ 27 %) ou encore de l’histoire de la France (+ 11 %) et de l’Europe (+ 24 %). Au contraire, la production décélère nettement en informatique (- 17 %), psychologie et psychanalyse (- 11 %), enseignement du français (- 19 %), médecine (- 6 %), photographie (- 8 %), musique (- 18 %), tourisme (- 11 %).

Sciences sociales : pression en droit et politique

Relativement stable les années précédentes, la production d’ouvrages en sciences sociales est repartie à la hausse en 2014, à 9 546 nouveautés et nouvelles éditions (+ 6,3 %). Le nombre de nouveaux titres augmente particulièrement en droit (+ 9 %), administration publique ou encore criminologie, mais aussi en politique. En économie, l’économie du travail et celle de la production évoluent à la hausse, quand l’économie financière et celle de la terre et de l’énergie s’inscrivent en retrait. De même, la sociologie des groupes sociaux, de la culture et des institutions suscite un plus grand nombre d’ouvrages, alors que la sociologie des communautés en inspire moins. (Rubrique "Sciences sociales" diminuée des sous-rubriques rassemblant les manuels d’enseignement.)

Sciences appliquées : la médecine en retrait

La production d’ouvrages techniques et pratiques continue de se contracter en 2014 (- 2,4 %). Le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions se réduit pour la deuxième année consécutive en médecine et en jardinage, et reste stable en cuisine après la baisse de l’année précédente. Il baisse également en "économie du foyer et de la vie familiale", puériculture et gestion, comme en bâtiment et dans la plupart des domaines techniques. A contrario, la production en titres augmente en santé, psychopathologie et paramédical, de même que dans les domaines de la technologie des transports, des animaux domestiques et de l’élevage. (Rubrique "Techniques-Sciences appliquées".)

Arts : à la recherche d’un nouvel équilibre

Après un bond spectaculaire de 7,8 % en 2013, la production d’ouvrages d’art a été ramenée l’an dernier à 5 520 nouveautés et nouvelles éditions (- 2 %), un niveau plus compatible avec un marché qui continue de décélérer fortement. Le réajustement à la baisse touche les arts plastiques et les "arts du métal, céramique, joaillerie" comme la peinture, la photographie, la musique et même l’architecture et les arts du spectacle. Cependant, le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions augmente fortement en arts graphiques et dessins (+ 30 %), et dans une moindre mesure en arts décoratifs et loisirs créatifs ainsi qu’en cinéma, télévision et radio. (Rubrique "Arts-Sports", diminuée des sous-rubriques "Jeux", "Sports", "BD" et "Mangas".)

Romans : plus de romans français et de polars

Le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions continue de progresser en littérature (+ 3,3 %) plus fortement que la moyenne de l’ensemble de la production éditoriale. La production de romans et nouvelles français, tout comme celle de romans policiers et d’espionnage s’inscrivent à + 5 %. La production de littérature étrangère se situe à + 2 %. Seul diminue (- 3 %) le nombre de romans fantastiques et de science-fiction, qui avait toutefois fortement augmenté au cours de l’année précédente. (Rubriques "Romans et nouvelles français", "Romans fantastiques et de science-fiction", "Romans policiers", "Romans et nouvelles étrangers".)

Jeunesse : offensive du jeu et du documentaire

Sans doute stimulée par le dynamisme persistant des ventes dans ce secteur, la production d’ouvrages pour la jeunesse fait un nouveau bond de 5,7 % en 2014, après celui de 5,4 % réalisé en 2013. Tandis que le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions se contracte légèrement en fiction, avec 3 611 titres (- 4 %), il progresse dans les domaines de l’éveil (+ 7 %, à 3 907 titres) et du documentaire (+ 9 %, soit 1992 titres). Surtout, le segment des livres d’activité et de jeux pour la jeunesse connaît un boom de 27 %, avec 1 590 nouveautés et nouvelles éditions. (Rubriques "Littérature de jeunesse (activités et jeux, éveil, fiction, documentaires)".)

La production par éditeurs en 2014 : 4 495 maisons ont publié au moins 1 titre

 

Si la production de livres augmente, elle a été assurée en 2014 par 64 éditeurs de moins qu’en 2013. Mais les principaux groupes affichent des hausses inférieures à la moyenne du secteur.

 

Les dix groupes les plus productifs de 2014. Nombre de nouveautés et de nouvelles éditions en français. - Photo SOURCE : LIVRES HEBDO/ELECTRE

Après 25 éditeurs de plus en 2013, 64 de moins en 2014 (- 1,4 %). L’an dernier, d’après nos données Livres Hebdo/ Electre, 4 495 éditeurs ont publié au moins un titre (nous recensons dans ces pages ceux qui en ont produit au moins 44). Les dix groupes les plus productifs ont assuré 36,5 % des parutions de l’année avec 24 913 nouveautés et nouvelles éditions. Mais cette part, qui se situait à 37,2 % un an plus tôt, évolue à la baisse. Ensemble, ces dix groupes ont augmenté de 0,8 % le nombre de leurs nouveaux titres, soit trois fois moins que l’ensemble de l’édition (+ 2,5 %). La production progresse de 2 % chez Hachette Livre mais baisse de 0,3 % chez Editis et de 2,2 % chez Madrigall. Parmi les dix groupes les plus productifs, Actes Sud, Bayard et Delcourt ont également resserré leur production. Tout comme d’autres maisons prolifiques telles que les Puf, Panini, La Documentation française, Vernazobres-Grego, Belin ou le Cerf, pour ne parler que des principales.

Dans le même temps, les publications continuent de se développer, pour des raisons différentes, dans de nombreuses maisons petites et moyennes présentes dans des secteurs très divers. Dans le secteur universitaire, c’est le cas chez Ellipses, aux Presses universitaires de Rennes et chez Hermann. Ailleurs, le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions augmente, par exemple chez Eyrolles, les Nouvelles éditions de l’Université (Petit futé), Piccolia, Lacour-Ollé, Lito, Milady, Kazé, OCDE, De Borée, Usborne, les Editions des régionalismes, Saxe ou encore Elcy, pour ne parler que des plus productives.


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