20 août > Roman France

Retour à Pointe-Noire, port du Congo-Brazzaville, sur la façade atlantique. L’a-t-il jamais quittée, Alain Mabanckou, cette ville où il vit le jour en 1966 ? Dans son cœur jamais, mais il s’était bien écoulé vingt-trois ans avant qu’il n’y retournât et en tirât Lumières de Pointe-Noire (Seuil, "Fiction & Cie", 2013, repris chez Points), récit autobiographique du fils prodigue, emboîtant le pas du fantôme de sa propre enfance. Avec Petit Piment, c’est à travers la fiction qu’Alain Mabanckou choisit de revisiter la cité portuaire du centre-ouest de l’Afrique. On a ici quitté la sobriété de la relation de voyage, c’est l’Alain Mabanckou de Verre Cassé ou de Mémoires de porc-épic qu’on retrouve, plein de verve chamarrée et de truculente ironie.

Pour tout héros de légende, il faut un nom qui augure d’un grand destin. Et aussi une naissance extraordinaire ; celle de celui qui sera surnommé Petit Piment est pourtant banale : il est abandonné devant la porte de cette institution catholique de Loango qui recueille des orphelins. Est-ce le linge blanc dont il est entouré ? Papa Moupelo, le prêtre de l’orphelinat, voit dans le bébé quelque avatar du prophète sauvé des eaux qui libéra le peuple hébreu du joug de l’esclavage. Il le baptise Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko. A savoir, en lingala : "Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre des ancêtres." Si Papa Moupelo dispense sa mansuétude et des cours de danse pygmée, le directeur de l’orphelinat Dieudonné Ngoulmoumako exerce sur les pensionnaires une autorité d’airain. Un jour, le prêtre disparaît. C’est la révolution, le directeur qui entend flatter le nouveau président redouble de zèle dans l’enseignement du nouvel évangile socialiste. Au programme : bourrage de crâne et châtiments corporels.

Le jeune Moïse, qui a pour compagnon Bonaventure, un doux rêveur scrutant le ciel afin de repérer l’avion censé l’emporter loin de la férule du directeur, n’est pas prêt de briser les chaînes de l’oppression. Ne reste qu’une solution : fuir avec "les jumeaux", les deux caïds de l’orphelinat, qui les brimaient, Bonaventure et lui (son sobriquet lui vient de l’épisode où par vengeance il avait "empoisonné" la nourriture des jumeaux avec l’épice piquante). Voilà Petit Piment dans la capitale et jeté dans le tourbillon des gangs, puis chevalier servant de la mère maquerelle Maman Fiat 500…

Petit Piment est le typique bildungsroman, roman initiatique où l’on suit le narrateur éponyme, espèce d’Oliver Twist version africaine, de son orphelinat de Loango à la capitale congolaise, de sa prime adolescence à son éclosion en jeune adulte. Aventures doublées de l’anatomie d’une Afrique chaotique faite autant de magouilles que de pure poésie.

Sean J. Rose

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