Ces symptômes qui gênent. Psychomotricien, Olivier Brisson a une expérience singulière de la psychiatrie. Sa profession, à la lisière de celle des « soignants », le place auprès des « accompagnés ». Il travaille à la fois sur le corps et la psyché, la médiation corporelle et la rééducation psychomotrice. Ce point de vue lui permet un pas de côté dans la critique habituelle de l'institution, connue comme le parent pauvre de la médecine. Par-delà la perspective des médecins et des intellectuels, et dans la continuité de réflexions menées par des psychiatres contemporains comme Mathieu Bellahsen ou les pères de la psychothérapie institutionnelle comme Jean Oury, Félix Guattari, ou encore Gilles Deleuze, Olivier Brisson a cette particularité de tirer des analyses et livrer des propositions à partir d'expériences vécues par les patients et observées dans les hôpitaux psychiatriques. Cette construction, alternant les descriptions de situations concrètes et l'histoire de la psychiatrie et de la théorie critique, a le mérite de replacer le patient au cœur de l'analyse, qu'il soit autiste ou sujet à des troubles ponctuels et se retrouvant entre les murs de l'hôpital.
Tout en tenant compte des conditions de plus en plus précaires du service public, Brisson dresse un triste constat du tournant neuromédical qui, depuis les années 1980, vise à « normaliser » les patients qui présentent des troubles, à coups d'hypermédicamentation et de mécanismes « disciplinaires et infantilisants ». Selon lui, la dynamique néolibérale actuelle de la psychiatrie montre une « dissolution de la médecine psychiatrique dans une santé mentale de contrôle ». L'idée ne serait pas de savoir comment permettre aux soignés de se sentir plus en accord avec leurs troubles et leur sensibilité, mais bien d'effacer ces troubles, d'éteindre le feu de cette sensibilité, afin que le comportement des patients soit « socialement acceptable ». L'auteur développe le cas des autistes, souvent réduits à leurs déficits plutôt qu'appréhendés dans leur singularité.
Les exemples exposés sont choquants et la fine analogie que l'auteur dresse entre les processus de normalisation de la psychiatrie et ceux de la société elle-même est effrayante. Il rappelle : « Ce qui amène une personne en psychiatrie est largement en lien avec la façon dont la société, la culture commune, rejette ce qu'elle présente comme manifestations diverses. » Mais Olivier Brisson ne s'en tient pas là. Son texte propose des orientations visant l'espérance, dévoile des pratiques inspirées par exemple de l'expérience de François Tosquelles à l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban en Lozère, qui avait aussi accueilli des réfugiés dans la France de Vichy. Il insiste sur ces pratiques qui intégraient alors les soignés dans l'organisation de leur mode de vie quotidien. Olivier Brisson est aussi musicien. Et c'est précisément à travers ce mode d'expression artistique permettant d'exprimer sa singularité que le psychomotricien, évoquant l'art brut, permet à des patients d'entrer dans leur rapport au monde. Car, au même titre que l'art, concède l'auteur, « l'accompagnement est une pratique expérimentale ».
Pour une psychiatrie indisciplinée
La fabrique
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 14 € ; 256 p.
ISBN: 9782358722513