Séraphine de Senlis (version cinéma) a été condamnée, en novembre, au profit d’Alain Vircondelet et d’Albin Michel. Les juges ont considéré que le film contrefaisait cette biographie de l’artiste. Pour mémoire, le producteur, qui n’avait donc pas acquis les droits d’adaptation, avançait deux arguments classiques dans ce genre de cas. Il soutenait, d’une part, que la vie d’une personne publique ne peut être privatisée. Il est en effet parfois difficile de distinguer entre ce qui relève inéluctablement des faits historiques, ce qui appartient au «  fonds commun du genre  » exigé par le personnage traité, et ce qu’un passionné saura dénicher et mettre en valeur dans un véritable processus d’auteur. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a posé clairement les termes du débat, dès le 16 juin 1955, à propos d’une biographie du ténor Caruso. À cette occasion, les magistrats ont délimité ce qui ne pouvait faire l’objet d’une appropriation ou de la constitution d’un monopole scientifico-littéraire de la part d’un chercheur… cherchant surtout à interdire toute autre biographie sur « son » sujet. Pour bénéficier d’une protection, la biographie doit être originale, au sens où l’entend le droit d’auteur : c’est-à-dire présenter une composition ou un style propres à celui qui l’écrit. Les Plagiaires , le nouveau dictionnaire de Roland de Chaudenay narre les mésaventures de Paul Guth qui publia Moi, Ninon de Lenclos, courtisane en 1991 . Le livre fut promptement retiré de la vente après quelques échanges entre son éditeur et celui de Ninon de Lenclos, Courtisane du grand siècle , paru en 1984, sous la plume de Roger Duchêne…   Certains biographes à la chaîne finissent par confondre la vie de leur sujet et leur fourmillante documentation. Henry Troyat l’a appris à ses dépens après avoir été blanchi, au premier round, par le tribunal de grande instance de Paris, le 9 février 2000. La Cour d’appel n’a pas lu son œuvre du même œil, et a sanctionné la contrefaçon, le 19 février 2003. En l’occurrence, ce sont les choix identiques de citations d’extraits de lettres, de journaux identiques ainsi que de… citations inédites qui ont entraîné la condamnation du célèbre, mais second, biographe. Les affaires les plus emblématiques de ces dernières années ne manquent d’ailleurs pas de cocasserie. Il en est ainsi du conflit ayant opposé Patrick Rodel à Alain Minc à propos de la vie de Spinoza. Le 7 septembre 2001, le Tribunal de grande instance de Paris a plus qu’épinglé l’essayiste au profit de l’universitaire qui le poursuivait pour contrefaçon. Les juges ont d’abord pris soin de souligner que, traditionnellement, «  les idées sont de libre parcours  » et qu’à ce titre nul ne pouvait reprocher à Alain Minc d’avoir rappelé, chronologiquement, les épisodes de la vie de l’illustre philosophe. Cependant, ils ont aussi détecté nombre d’anecdotes, recopiées avec les mêmes détails et surtout dans les mêmes termes qu’au sein de l’ouvrage de Patrick Rodel. Ce dernier avait en effet imaginé une correspondance mettant à jour un goût prononcé de Spinoza pour la confiture de rose, agrémenté d’une recette. Or, cette facétie – qui s’inscrivait dans une biographie revendiquée clairement comme imaginaire – avait été reproduite, sans source idoine, dans l’ouvrage litigieux… Pour en revenir à Séraphine, les magistrats ont notamment identifié «  neuf cas précis pour lesquels, outre la reprise d'éléments biographiques inventés par M. Vircondelet, on note une similitude dans la formulation employée, parfois au mot près, ce qui permet d'exclure la simple réminiscence derrière laquelle se retranchent les défendeurs  ». Le second argument, plaidé le 14 octobre dernier et rejeté un mois plus tard dans le jugement, consistait à invoquer les autres sources : en l’occurrence, des «  ouvrages antérieurs  », et en particulier ceux de Jean-Pierre Foucher (1968) et Wilhelm Uhde (1949), le critique d'art ayant découvert Séraphine (et qui est un personnage important du film de Martin Provost). Cela revenait à accuser Vircondelet de plagiat, ou à admettre que l’on s’était « inspiré » d’autres livres eux-mêmes protégés… Bref, là encore, mauvaise pioche. Au final, la condamnation revient peu ou prou à quelques dizaines de milliers d’euros dont profiteront l’auteur et son éditeur. Le film a glané sept César et quelques paquets d’entrées… Acheter les droits de la bio, comme le font nombre de producteurs américains en raison des frais engendrés par le moindre procès, aurait-il ici coûté plus cher ?

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