Statue de Jean Paul II par Elisabeth Cibot devant la basilique Notre-Dame de Fourvière à Lyon.
Pape star
Grande vedette de l’Eglise, Jean Paul II sera canonisé le 27 avril en compagnie de Jean XXIII. Les croyants ne sont pas exempts de la starification à l’œuvre dans notre société, comme le montrent les programmes "spécial canonisation" des éditeurs religieux et la parution, décidée contre la volonté de leur auteur, des notes personnelles de Karol Wojtyla chez Bayard.
Dimanche 1er mai 2011, Jean Paul II, pape qui a connu l’un des plus longs pontificats de l’histoire - de 1978 à 2005 -, était proclamé bienheureux par son successeur, le pape Benoît XVI. Le 27 avril prochain à Rome, neuf ans après sa mort, en la fête de la Divine Miséricorde qu’il a créée, il sera canonisé par le pape François en une cérémonie unique avec Jean XXIII, autre pape de poids.
De fait, cette canonisation est l’une des plus rapides de l’histoire récente de l’Eglise. Ce record a été rendu possible grâce à l’autorisation accordée par Benoît XVI - à la suite d’une pétition signée par 170 cardinaux - de commencer le procès de béatification avant le délai légal de cinq ans après la mort de l’intéressé. Jean-Paul connaît donc un destin post-mortem aussi exceptionnel que celui qui a été le sien de son vivant. A point nommé, deux jours avant la canonisation, un livre-événement paraît chez Bayard, "Je suis dans les mains de Dieu". Carnets intimes 1962-2003.
"On est dans le cœur du réacteur"
"On connaît le Jean Paul II écrivain, orateur, théologien. Dans ses Carnets, c’est l’homme en débat avec lui-même, explique Frédéric Boyer, son heureux éditeur. On est vraiment dans le cœur du réacteur. C’est la fabrique personnelle de sa spiritualité et de sa relation à Dieu. Il brasse des références scripturaires, théologiques et littéraires (il aimait beaucoup Dostoïevski, Simone Weil ou encore Shakespeare) très diverses."
Le pape polonais avait fait de son secrétaire particulier, Stanislaw Dziwisz, son exécuteur testamentaire. Dans son testament spirituel, Jean Paul II avait demandé à son plus proche collaborateur de brûler ses notes personnelles.
Dans la préface du livre, le cardinal Dziwisz, aujourd’hui archevêque de Cracovie, explique ce qui fut probablement pour lui un vrai dilemme : "J’ai respecté à la lettre les volontés du Saint-Père, après sa mort en 2005, en donnant toutes les affaires qu’il possédait, en particulier ses souvenirs personnels. Mais je n’ai pas eu le courage de brûler ses carnets personnels parce qu’ils contenaient d’importantes informations sur sa vie. Je les avais toujours vus sur le bureau du Saint-Père, mais je ne les avais jamais ouverts. Quand j’ai pris connaissance de ce testament, j’ai été profondément touché par le fait que Jean Paul II, que j’ai accompagné pendant presque quarante ans, me prouve ainsi sa confiance au point de me confier ce qu’il avait de plus intime et personnel. Je n’ai pas brûlé les carnets de Jean-Paul II parce qu’ils sont la clé pour comprendre sa spiritualité, ce qu’il y a de plus profond en chaque être humain: sa relation avec Dieu, avec les autres et avec lui-même."
C’est donc par profond respect qu’il a d’abord présenté ces Carnets à la Congrégation pour la cause des saints, qui se penchait sur la vie du pape pour son procès en béatification. C’est sans doute dans un douloureux exercice de discernement spirituel qu’il décida finalement aussi, avec l’accord du Vatican, de la publication finale. Cela avait déjà été le cas pour les écrits intimes de Mère Teresa, Viens, sois ma lumière (édition Lethielleux), dans lesquels se trouvent des lettres adressées par la sainte de Calcutta à ses différents directeurs de conscience censées rester privées. Les saints ne s’appartiennent plus, ils appartiennent à l’Eglise…
L’aventure du livre en français
Le livre de Jean Paul II, des notes rédigées en polonais, sa langue natale, pendant plus de quarante ans (il utilise toutefois le latin ou l’italien, particulièrement pendant les années vaticanes), a été publié en février dernier chez l’éditeur polonais Znak qui en a les droits mondiaux (hors Italie). L’ouvrage était resté confidentiel, l’éditeur ayant communiqué seulement quelques bonnes feuilles en anglais.
Comment ce livre s’est-il retrouvé chez Bayard ? Fin janvier, tardivement du fait des hésitations, l’éditeur polonais contacte ses confrères en France. Les enchères montent assez vite, assez haut. Les relations personnelles qu’entretiennent depuis très longtemps Henryk Wozniakowski, président de Znak, et les dirigeants du groupe Bayard ont probablement favorisé ce choix. "Pour une publication simultanée à la canonisation, nous avons travaillé avec le séminaire polonais catholique de Paris. Une équipe de six personnes a travaillé non-stop, jour et nuit, sept jours sur sept pendant un mois et demi! Arriver à une parution à J-2 est un petit miracle!", se réjouit Frédéric Boyer.
Musclé
Le tout donne un livre de 650 pages intellectuellement assez "musclé" qui aurait mérité un travail éditorial de vulgarisation. Mais, l’éditeur d’origine a demandé à ce que le livre soit reproduit in extenso. Les contraintes étaient drastiques : interdiction de faire des coupes, obligation de respecter la présentation typographique des carnets (citations en marge, mots soulignés…). Il n’empêche, l’émotion est là.
Etre près du cœur d’un homme qui commentait ses progrès spirituels, mettait la prière au centre de tout, récitait encore souvent la litanie des saints en polonais et a changé l’histoire de l’Eglise. Un véritable itinéraire spirituel mis en place à 27 000 exemplaires. Ses dernières notes datent du 15 mars 2003, car ensuite il n’était plus capable d’écrire. L’ensemble forme le portrait d’un être qui avait l’âme d’un combattant et une vision de sa propre participation au salut.
A. D.
"Je suis dans les mains de Dieu". Carnets intimes 1962-2003, par Karol Wojtyla, Bayard. 650 p., 24 euros. ISBN : 978-2-227-48758-1. Parution : 25 avril 2014.
Prochaines parutions mondiales:
Avril : Espagne, Amérique latine : Planeta ; Portugal, Brésil : Planeta
Mai : Allemagne, Autriche : Herder
Automne : Italie : Libreria Editrice Vaticana ; Grande-Bretagne et Etats-Unis : Harper Collins ; Roumanie : Humanitas ; Croatie : Verbum ; Hongrie : Szent Istvan ; Slovenie : Druzina ; Corée : St Pauls.
Frédéric Lenoir : "On écrit beaucoup plus sur les religions"
Hier Jean-Paul II, aujourd’hui le pape François : le philosophe spécialiste des religions explique l’engouement pour les souverains pontifes et le renouveau des livres sur les religions.
"Il y a un engouement pour le message spirituel des religions plus que pour les dogmes, pour tout ce qui aide à vivre." Frédéric Lenoir- Photo CATHERINE THIVENT/LICENCE CCA-SA3.0
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Livres Hebdo - Comme beaucoup, vous avez été séduit par le nouveau pape, auquel vous avez consacré un livre (1).
Frédéric Lenoir - C’est une histoire de coup de cœur. Le soir de son élection, le 13 mars 2013, j’étais sur le plateau de France 2 en direct. J’étais un des rares à connaître le nouveau pape parce que l’abbé Pierre m’avait parlé de cet évêque de Buenos Aires, de son sens de la simplicité et de son inquiétude de la pauvreté. Dès ses premiers mots à Saint-Pierre de Rome, je savais que ce jésuite allait délivrer un message qui serait un retour vers l’essentiel, c’est-à-dire à l’Evangile.
Pour vous aussi, ce livre est un retour, au christianisme en l’occurrence ?
C’est vrai, depuis quelques livres, je me suis plus préoccupé de philosophie, de psychologie et de l’art de mieux vivre. Depuis Le Christ philosophe et Comment Jésus est devenu Dieu, j’avais un peu délaissé le christianisme. Avec l’élection du pape François, il s’est passé quelque chose. Ce fut comme une remise sur les rails de l’Eglise sur ce qui constitue sa vocation première. J’ai donc voulu expliquer la portée historique de cette transition.
Entre Jean-Paul II et François, il y a eu Benoît XVI. Vous auriez pu écrire sur lui ?
Non, il ne m’inspirait pas. Il était doctrinal, sans l’ouverture nécessaire aux non-croyants. Le monde et la société dans lesquels nous vivons sont essentiels et nous devons tout faire pour mieux les comprendre. Tout cela se retrouve chez le pape François, notamment dans son refus d’une Eglise puissante et fastueuse et dans son intérêt pour l’économie ou l’écologie.
Quelle est la place de l’histoire des religions dans cet engouement actuel pour le spirituel ?
Comprendre à quoi servent les religions, expliquer quelle est leur fonction sociale, tous ces éléments sont déterminants. Nous avons de plus en plus besoin d’une dimension explicative distanciée sur ces phénomènes. Avec les nombreux dossiers dans la presse et les livres sur l’islam, le bouddhisme ou le christianisme, le public est désormais bien informé. Parce que l’approche culturelle est privilégiée sur l’approche cultuelle.
Avant le pape François, il y eut une autre personnalité forte au Vatican : Jean-Paul II …
L’un et l’autre mettent en cohérence leurs paroles et leurs actes. Tous les deux possèdent une véritable dimension politique. Jean-Paul II a contribué à la chute du mur de Berlin et à la fin du communisme, le pape François tente de faire tomber le mur de la pauvreté et dénonce l’économie ultralibérale qui sépare les hommes et rejette les plus démunis. En tant qu’archevêque de Buenos Aires, il a connu en 2001 la faillite en Argentine. Il sait combien l’argent roi pervertit l’homme et la planète.
La starisation du pape vous agace ?
Je la constate. Cela démontre que son message dépasse le monde catholique. Quand le magazine Rolling Stone met le pape François en couverture en janvier dernier, ce n’est pas pour des raisons théologiques mais parce que, pour une fois, un pape ne condamne pas et refuse de juger ceux qui marchent hors des clous de la morale catholique. Cela a touché de nombreux croyants et surpris beaucoup d’incroyants. Le risque est de rester sur l’anecdotique sans chercher à comprendre le message spirituel qu’il y a derrière. Cela agace certains, mais on ne peut que constater que le pape touche le cœur des gens.
Ecrit-on toujours autant sur les religions ?
On écrit beaucoup plus aujourd’hui sur les religions. Il y a vingt ans, nous étions encore dans le cultuel. Les catholiques écrivaient pour les catholiques, les musulmans pour les musulmans, les juifs pour les juifs. On constate désormais une érosion massive du cultuel de type identitaire au profit du culturel et du spirituel. Dans les années 1990, une encyclique de Jean-Paul II pouvait se vendre à 400 000 exemplaires, aujourd’hui une encyclique de François peut en espérer 80 000. Il y a d’un côté un intérêt pour les religions comme phénomène culturel et de société, et d’un autre côté un engouement pour le message spirituel des religions plus que pour les dogmes. On le constate avec le succès des mystiques chrétiens, des soufis musulmans, de la kabbale juive ou des sagesses orientales. Concrètement, tout ce qui aide à vivre.
Ne constate-t-on pas le même phénomène en philosophie ?
Exactement. Pierre Hadot fut le premier à rappeler à quoi servait la philosophie grecque : aider à vivre ! Par la suite Marcel Conche, André Comte-Sponville, Michel Onfray, Luc Ferry, moi-même et quelques autres, avons fait le même chemin en quittant l’université pour écrire sur la philosophie comme sagesse qui conduit à la vie bonne. C’est ce qui explique le succès en librairie du Manuel d’Epictète, des Pensées de Marc Aurèle, des Essais de Montaigne, qui sont des livres qui aident à vivre.
Tous ces livres sur la spiritualité n’apaisent pourtant pas les tensions religieuses ?
En France, nous avons une histoire lourde avec la religion. La République s’est installée contre l’Eglise. Elle a toujours un peu peur que la religion régente les consciences. Pour les pays anglo-saxons, c’est l’inverse. La religion est comprise comme un ferment de la démocratie ; elle a joué historiquement un rôle émancipateur. En France, le principe de la laïcité sépare radicalement la religion du politique parce que nous avons gardé la mémoire d’une religion oppressive et nous voulons la cantonner à l’espace privé. Cela dit, même si la visibilité médiatique insiste sur les crispations identitaires et le communautarisme, la grande majorité des Français constate que les religions ne menacent en rien notre société.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de donner dans le syncrétisme religieux ?
Je préfère les ponts aux murs. Le syncrétisme, c’est la confusion des cultures. Or je ne mélange pas, je montre ce qui rapproche dans la profondeur spirituelle au-delà des différences culturelles ou communautaristes. C’est aussi pour cela que certains catholiques sont mal à l’aise avec l’œcuménisme et le message parfois très universel du pape François qui vise à nous ouvrir aux autres plutôt qu’à nous replier sur nous-mêmes et sur nos certitudes.
Propos recueillis par Laurent Lemire
(1) François, le printemps de L’Evangile, Fayard, 180 p., 17 euros.
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Par
Élodie Carreira
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