Parmi les 265 successeurs de saint Pierre, Christophe Dickès en a retenu douze, dont Pierre lui-même qui figure dans la catégorie des "papes fondateurs" avec Léon le Grand et Grégoire le Grand. Puis viennent ceux qu’il nomme les "papes rois" (Grégoire VII, Innocent III, Boniface VIII, Jules II), les "papes spirituels" (Pie V, Pie X) et les "papes universels" (Pie XI, Jean XXIII et Jean-Paul II).
A la lecture de ce travail très documenté, élégamment écrit et pour lequel il s’est entretenu avec Benoit XVI, on comprend mieux ce que l’auteur entend par "grand pape". L’historien et journaliste qui a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège (Robert Laffont, "Bouquins", 2013) justifie son choix avec des souverains pontifes qui ont fait évoluer l’Eglise tout en s’inscrivant dans une continuité. Par définition, un pape ne peut être révolutionnaire, puisqu’il ne peut faire table rase du passé. C’est au contraire en s’appuyant sur ces fondations qu’il peut faire évoluer l’édifice et les mentalités de ceux qui y résident.
Chaque étape, de la réforme grégorienne à Vatican II en passant par le concile de Trente, fut accomplie sur le même socle. Détenteur d’un pouvoir spirituel qu’il veut libre face au pouvoir politique, le vicaire de Jésus-Christ sait qu’il peut néanmoins influer sur le temporel. Jean-Paul II a compris combien l’Eglise pouvait être un instrument efficace dans la chute du communisme. C’est pourquoi l’opinion publique pardonne difficilement les silences de Pie XII sur le nazisme, et au contraire applaudit aujourd’hui aux engagements de François contre la misère ou en faveur de l’écologie.
On voit bien monter l’importance du politique dans les affaires vaticanes à partir de Pie X, qui meurt en 1914. Christophe Dickès compare d’ailleurs ce pape, considéré - à tort selon lui - comme un réactionnaire, à François, dans ce même refus de l’apparat et dans la vision pastorale qu’il avait de sa mission. A partir de la création de l’Etat de la cité du Vatican, la papauté s’inscrit dans les grands débats du XXe siècle. Pour autant, la nouveauté n’est pas une spécialité de la maison catholique. Bien souvent, ce qui apparaît neuf tire ses origines de quelques siècles en arrière.
Sur les douze papes traités, seuls sept sont devenus saints. Ce n’est donc pas le seul critère pour figurer parmi "ceux qui ont bouleversé le monde". Christophe Dickès montre qu’il s’agit plutôt de fortes personnalités qui ont entendu leur époque et accompagné ses volontés de changement tout en se sachant légataires d’un héritage millénaire. Laurent Lemire