Le constat n'est pas tendre. Dans son rapport 2019 « Vers une économie plus circulaire dans le livre », l'ONG WWF admoneste le secteur de l'édition : « À peine plus de 4 500 tonnes de papier recyclé (0,5 % de la consommation française) sont utilisées en France pour produire des livres. 2 % des livres sont en papier recyclé seulement. (...) Il existe pourtant certains éditeurs qui donnent l'exemple, comme La Plage, dont près de 20 % des livres sont imprimés sur papier recyclé. »
De fait, selon la dernière « Enquête sur la consommation de papier des éditeurs » de la Commission environnement et fabrication du SNE, qui date de septembre 2020, la part de recyclé dans l'édition est même plus faible que cela, s'élevant à 1 % des achats, ce que le syndicat justifie par la « diminution de l'offre de papier recyclé et la non-adéquation de celle-ci face aux besoins des éditeurs ». Dans le même document en revanche, le SNE met en avant l'utilisation en constante hausse de papier certifié PEFC (Programme de reconnaissance des certifications forestières) ou FSC (Forest Stewardship Council) jusqu'à atteindre 94 % des achats, ces papiers étant issus de forêts gérées durablement, et composés à partir de chutes de bois ou branchages.
Pas assez blanc, inégal, pelucheux, le papier recyclé, c'est-à-dire comprenant au moins 50 % de fibres provenant de déchets de papiers imprimés, a longtemps eu mauvaise presse. « Une fibre de cellulose peut se recycler jusqu'à sept fois, le papier vierge et le recyclé sont donc complémentaires. Mais de fait, si on veut la même blancheur que du papier vierge, il faut oublier, cela n'existe pas. Et on a un petit problème de constance et d'épaisseur, certains de mes livres ont grossi, d'autres ont minci », observe Jean-Philippe Pinsar, directeur des éditions juridiques Lextenso, qui a fait le choix en juillet du papier 100 % recyclé pour tous ses ouvrages millésimés ayant une durée de vie limitée, soit 25 % environ de sa production.
« Le recyclé, ce n'est pas la panacée, notamment parce qu'il faut souvent aller le chercher en Suède, et parce que les processus de désencrage sont lourds », relevait en juillet auprès de Livres Hebdo Frédéric Lisak, directeur des éditions Plume de Carotte et cofondateur du collectif des éditeurs écolo-compatibles, tandis que certains imprimeurs relaient allègrement un bilan de gaz à effet de serre (GES) réalisé en 2017 par l'Agence de la transition écologique (Ademe) selon lequel la production d'une tonne de pâte à papier issue de matière vierge émet moins de CO2 (297 kg CO2) qu'une tonne de pâte issue de la filière recyclage (317 kg CO2).
Pas de marché
Le papier recyclé serait-il moins écolo que le papier vierge ? Ce n'est pas aussi simple. Selon Nolwenn Touboulic, ingénieure à l'Ademe, si la balance de GES penche en faveur du vierge, « c'est notamment parce que les papeteries classiques utilisent une énergie qui vient des copeaux de bois, et que nous considérons que cela n'a pas d'impact carbone, alors que la collecte, le tri, le recyclage en lui-même génèrent des émissions ». Surtout, il n'y a pas que le CO2 à prendre en compte, « et la consommation d'eau et d'électricité est cinq fois moins importante pour du recyclé que pour du vierge », indique-t-on à la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec), quand l'éco-organisme Citeo évoque de son côté une consommation d'énergie et d'eau réduite par deux à trois.
Ex-président de la filière papiers cartons de la Federec, Pascal Gennevieve répond aussi aux accusations de pollution, en rappelant que la javel utilisée autrefois pour désencrer a été remplacée par du peroxyde d'hydrogène, autrement dit de l'eau oxygénée. Quant à l'approvisionnement, il regrette que la papeterie ArjoWiggins Greenfield de Château-Thierry, « qui produisait un papier recyclé parfaitement blanc, ayant servi notamment à éditer les catalogues du Louvre », ait cessé sa production, faute de marché. Toujours dans son rapport 2019, la WWF esquisse des pistes : améliorer les collectes de livres scolaires, optimiser le recyclage des livres par les particuliers - au-delà du seul pilon, donc - en y apposant le logo Triman, ce que les éditeurs refusent jusque-là. Et l'ONG de se projeter : « La fin de vie de certains livres pourrait conduire à produire 68 000 à 119 000 tonnes de papier recyclé de qualité » par année.