Le 24 août 1944, les premiers soldats de la 2e division blindée à entrer dans Paris furent des Espagnols. Des vaillants combattants républicains qui avaient pris les armes depuis 1936 et que l'histoire en France a oubliés. Ces soldats de la 9e compagnie, la Nueve, de Gaulle les avait salués puis congédiés d'un "la guerre est terminée". Il restait une guerre plus souterraine à gagner, celle de la mémoire.
En 2004, la Ville de Paris avait reconnu ces héros, mais pas suffisamment pour que le message soit entendu afin d'être répercuté. Il fallut attendre 2008 et la parution à Barcelone du livre d'Evelyn Mesquida, préfacé par Jorge Semprún, pour que justice soit enfin faite à ces héros délaissés. Mais là encore, l'information se répandait seulement de l'autre côté des Pyrénées.
La traduction de La Nueve est donc un signe important et une reconnaissance. Sur les 160 soldats de cette 9e compagnie, 144 étaient espagnols. La journaliste et écrivaine a retrouvé les derniers survivants de cette épopée au sein des 16 valides à la fin de la guerre. Parmi eux, le lieutenant Amado Granell, qui fut le premier soldat "français" arrivé à Paris et que l'on voit en compagnie de Georges Bidault, président du Conseil national de la Résistance, en première page de Libération le 25 août 1944. Ce sont ces témoignages qui font la valeur de ce livre composé d'un récit, de portraits et de documents.
"Notre compagnie était différente de toutes les autres." Rafael Gómez se souvient lui aussi de cette épopée de près de dix ans qui commença contre Franco et s'acheva sur le "Nid d'aigle" d'Hitler, à Berchtesgaden. Car s'ils restèrent tous des Espagnols, la seule patrie de ces anarchistes, républicains anticléricaux et athées pour la plupart, fut la liberté pour laquelle ils engagèrent leurs vies alors qu'ils n'avaient pas 20 ans.
Dans deux autres ouvrages collectifs (La mémoire entre silence et oubli, Presses de l'université de Laval, Québec, 2006, et Sorties de guerre, Presses universitaires de Rennes, 2008), Evelyn Mesquida avait rendu hommage à ces hommes qui finirent souvent oubliés dans leurs villages français ou espagnols.
Journaliste - elle a travaillé trente ans pour le magazine espagnol Tiempo -, présidente d'honneur de l'Association de la presse étrangère à Paris et vice-présidente du Club de la presse européenne, Evelyn Mesquida estime que ces républicains espagnols furent plus de 10 000 à avoir participé à la libération de la France, soit trois fois plus que l'estimation des historiens français. La parution de ce livre est donc aussi un acte moral envers ces hommes exemplaires que Leclerc appelait "combattants de la liberté". Et, comme le dit Jorge Semprún dans sa préface revue quelques semaines avant sa mort, quel film cela ferait !