C'est une maison bleue. « Logiquement, ce qui était neuf en 1980 aurait dû être vieux quarante-deux ans plus tard, or c'est l'exact contraire : ce que nous disions, vivions et constations est de plus en plus vrai dans notre actualité contemporaine de fin du monde. Reste à savoir pourquoi personne ne nous a crus plus tôt ? » C'est pour répondre à cette question que Pascal Dibie a repris ses vieux carnets américains. C'est pour l'ethnologue de la chambre à coucher (1987), de la porte (2012) ou du bureau (2020) l'une de ses premières missions aux États-Unis. Pour le jeune intellectuel, il s'agissait de rencontrer, de discuter, de partager pour comprendre un peu. Mais ce n'était pas la finalité. Il fallait prendre le pouls de cette Californie qui jouait déjà à la high-tech mais sans confondre intelligence artificielle avec vie meilleure. En 1980, dans la communauté d'Esalen, à Big Sur, on pense autrement le rapport à la nature et la domination n'est plus de mise. Le mouvement hippie est passé par là, du côté de San Francisco avec ses maisons bleues qui ont essaimé un peu partout le long de la côte. À la bibliothèque de Berkeley, surnommée « The Doe », Pascal Dibie recherche des ouvrages sur l'écologie humaine dans la continuité du travail de Serge Moscovici qui a publié La société contre nature en 1972. Mais ce sont ses amis Abigail, Glaïeul, Jennie et Joey qui l'initient aux plantes psychotropes, aux soirées de baignade à poil, au waterbed, ce matelas à eau particulièrement traître quand on est deux dessus, et au Whole Earth Catalog, « la bible incontournable du hippie, du révolutionnaire et de l'apprenti écologiste » qui explique tout et le reste, « de la fabrication du fromage à l'accouchement du petit dernier à la maison ».

California Dream vous emporte d'abord par son style, son regard amusé et tendre, cette manière de raconter plus proche d'Henry Miller que des titulaires de chaires à Berkeley. Mais ce professeur émérite n'oublie pas qu'il est aussi universitaire. Il sait l'importance des détails qui font sens. Il traite donc les hippies californiens comme les Indiens yukunas en Amazonie ou les éleveurs de rennes du Grand Nord, avec le même respect et la même méthodologie.

Pourquoi ces utopistes qui avaient quelques longueurs d'avance n'ont-ils pas été davantage suivis ? Peut-être parce qu'on a trop insisté sur leurs comportements à la limite de la secte plutôt que sur leurs idées qui prenaient pourtant appui chez des anthropologues comme Gregory Bateson (qui fit lui-même quelques séjours chez les beatniks). Pourquoi cette écologie humaine a-t-elle été balayée par le capitalisme triomphant des géants de la Silicon Valley et la surconsommation afférente ? Pourquoi San Francisco s'est-elle engourdie, pourquoi la maison bleue est-elle en vente ? Pascal Dibie ne tranche pas, mais il montre qu'on aurait pu gagner quelques années en écoutant ces émules de Thoreau et de Kerouac. « Le monde a changé, moi non. » Une façon de dire qu'il faut toujours croire en ses rêves, sans oublier les cauchemars qui vont avec...