Depuis le 1er janvier 2022, les acteurs culturels, dont les auteurs font partie, peuvent apparaître sur la plateforme du Pass Culture. L’objectif ? Proposer aux collèges et aux lycées des interventions rémunérées. En pratique, une simple inscription dans l’onglet « part collective » suffit à référencer les acteurs. Mais entre lourdeur administrative, longs délais de réponses, critères d’éligibilité nébuleux ou encore refus injustifiés, le dispositif initié par les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture ne fait pas encore l’unanimité.
« Cela fait dix ans que je suis publiée chez Albin Michel et Nathan Jeunesse et c’est la première fois qu’on me demande de justifier mon activité », réagit Estelle Faye, autrice de fantasy et de science-fiction. Lors de son inscription sur la plateforme, l’écrivaine a dû constituer un dossier avec de nombreuses pièces administratives, parmi lesquelles des diplômes et un extrait de casier judiciaire vierge. « On ne sait même pas sur quels critères on est jugé ! On a aucun retour, très peu d’interlocuteurs et les dossiers traînent », détaille-t-elle, dénonçant en prime une « charge administrative » qui s’ajoute « aux démarches auprès de l’Urssaf et de l’Ircec ».
Procédure engorgée, critères nébuleux
« Le délai de prise en compte des dossiers prend de cinq à neuf mois et c’est souvent encore plus long dans les académies d’Île-de-France et du sud-ouest », confirme Manu Causse, membre de la Ligue des auteurs professionnels. Une fois la procédure d’inscription réalisée, le dossier de l’auteur doit être évalué par une commission composée de responsables de l’Éducation nationale, de recteurs régionaux et de la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC), chargée de déterminer la recevabilité ou non du dossier. En cas de refus, l’auteur ne peut figurer sur la plateforme ADAGE, qui rend visible son offre auprès des établissements scolaires.
« La procédure d’inscription est davantage conçue pour des structures que pour des particuliers », abonde Béatrice Egémar, co-présidente de la Charte pour les auteurs et illustrateurs jeunesse, qui centralise les demandes des artistes et tente de dénouer les situations. « D’ailleurs, quand un dossier est refusé, aucun motif ou information sur un possible recours n’est donné », ajoute-t-elle, dénonçant un « système opaque ». Sur les 800 auteurs ayant déposé leur dossier, plus de 200 sont encore en attente de réponse et une centaine a été rejetée. Seuls quelques-uns ont réussi à rencontrer leur commission pour réévaluer le dossier et obtenir des explications.
« La place de la culture perdrait son angle pédagogique »
« Il faut apporter un peu de contexte, tempère Sébastien Cavalier, président du Pass Culture. La part collective est un dispositif très récent, entré en fonctionnement à partir de septembre 2022 mais réellement effectif depuis janvier 2023 ». Le président admet d’ailleurs que les prescripteurs du dispositif ont fait le choix de traiter en premier les demandes des structures… au détriment des acteurs individuels. « Mais certaines structures comme le CNL ont pris l’initiative de faire passer des offres sous leur bannière », raconte-t-il. Une intervention qui, bien qu’elle confirme les failles du dispositif, a permis à 5 000 auteurs de réaliser 1 300 interventions dans les établissements scolaires.
Mais les auteurs peuvent-ils se passer d’une inscription à la part collective du Pass Culture ? « Ce n’est pas obligatoire en soi mais ça le devient à partir du moment où le budget alloué par ce système aux établissements se substitue, ou devient nettement plus important, que leurs budgets classiques », explique Manu Causse. Outre les défauts du dispositif, liés en partie à une mise en place complexe et à un manque d’interlocuteurs, les associations d’auteurs redoutent aussi, en arrière-plan, un dessein politique problématique. « La place de la culture dans les établissements perdrait alors son angle pédagogique », alerte le membre de la Ligue des auteurs professionnels. « On ne veut pas être des animateurs de classes mais on est quand même globalement favorables à ce système », admet Bérénice Egémar, rejoignant in fine Sébastien Cavalier, pour qui l’outil constitue « un effort sans précédent de l’Etat et une chance extraordinaire pour les jeunes ».