Avant-critique Roman

Ce qu'il y a de bien, avec Patrice Pluyette, écrivain rare (un roman tous les trois-quatre ans environ), c'est qu'il ne revient jamais là où on l'attendrait, et que, chez lui, on ne s'ennuie jamais. Depuis un certain temps, il a décidé de revisiter différents genres romanesques, romans d'aventures, de marine, exotique, pour mieux les subvertir, avec un mélange d'érudition et d'humour, cocktail jubilatoire, même si, parfois, on se demande ce qu'il est allé faire dans cette galère. Comme ici, où il relit les romans de chevalerie à travers le personnage mythique de Roland, le neveu de Charlemagne, héros d'une première épopée, La chanson de Roland, qui date du XIe siècle et est la mère de notre fameux roman national.

Pluyette ne remonte pas aussi loin, ni même à l'Orlando innamorato (1476-1494), Roland amoureux, geste laissée inachevée par Boiardo à sa mort. En revanche, il puise son sujet dans l'illustre Orlando furioso - le long poème en quarante-six chants de l'Arioste (publié en 1532) qui se voulait une suite à celui de Boiardo - ainsi que dans la version moderne d'Italo Calvino, qui raconta déjà à sa façon l'histoire de Roland furieux (publication posthume en français chez Gallimard en 2015). Calvino décoiffait, Pluyette décape. Parce qu'il a choisi une idée singulière. Le « film fantôme », c'est celui qu'un réalisateur novice, à l'origine romancier à succès, le narrateur, a décidé d'adapter de l'histoire de Roland. Mais à petit budget (son producteur va se révéler un escroc), dans un temps ridicule (quelques semaines à peine de tournage, et dans des lieux pas chers), avec des acteurs aussi ringards que capricieux. Pour le rendu, on pense un peu à Touche pas à la femme blanche !, le western délirant de Marco Ferreri tourné dans ce qui était le trou des Halles avant la construction du Forum.

Pluyette nous perd exprès dans les méandres du scénario de l'apprenti-cinéaste, où tout le monde (Roland, son cousin Roger, mais aussi Angélique ou Bradamante) se court après à travers toute l'Europe, et où l'on s'entre-massacre allègrement avec les supposés Sarrasins de la Chanson de Roland - qui auraient été finalement des Basques, forcément indépendantistes. À qui se fier ? À Pluyette le facétieux, qui se tire avec honneur de ce guêpier où il s'est lui-même risqué. Le film, lui, à coup sûr un nanar, ne sortira jamais. Il n'a même pas été monté. On s'en consolera, car son auteur n'aurait pu mettre dans ses dialogues toute la verve du romancier d'aujourd'hui, qui se permet avec ses personnages toutes les familiarités, tous les anachronismes (Roger, le cousin de Roland, qui ne se déplace qu'en hippogriffe serait ainsi « l'inventeur du parachutisme »). On notera aussi une bande-son rock'n'roll soignée, avec Lou Reed, New Order, mais aussi Brothers in Arms de Dire Straits, ou Heroes de Bowie, en guise de générique de fin. Il faut se laisser emporter par la furia de Patrice Pluyette, dans ce « cinéma roman » échevelé.

Patrice Pluyette
Film fantôme
Seuil
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 € ; 240 p.
ISBN: 9782021524192

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